Rav Shaoul David Botschko – La mitsva de la paracha : Parachat Chemini – le 1er Nissan : joie et drame
Le 1er Nissan 2448 est une grande journée. C’est ce jour là que le Tabernacle est inauguré dans le désert. Cette inauguration est bien plus qu’une fête, c’est l’aboutissement même de l’histoire. Ce jour là, D-ieu manifeste Sa Présence en descendant « habiter » le Tabernacle. Les hébreux du désert s’étaient suffisamment élevés pour que le Tout Puissant accepte d’être proche d’eux. Ceci préfigure les temps messianiques où D-ieu se manifestera dans une terre habitée, en Eretz Israël, témoignant par là que l’humanité entière s’est acheminée vers la perfection.
Le héros de cette journée est le Grand Prêtre Aaron. C’est lui et ses enfants qui sont intronisés dans leur nouvelle fonction. Ils sont chargés de la Sainteté du lieu. Ils sont les grands responsables de l’éducation du peuple d’Israël pour que la Che’hina puisse durablement résider parmi eux.
Et enfin l’apothéose: « Moïse et Aaron pénètrent dans le Tabernacle; ils en ressortent et bénissent le peuple; La Gloire de D-ieu se manifeste devant tout le peuple. Un feu descendit du Ciel et consumma l’holocauste et les graisses qui étaient placées sur l’autel; tout le peuple vit, ils louèrent D-ieu et ils tombèrent sur leur face. »[1]
LE MALHEUR
Puis soudain tout bascule: des deux fils d’Aaron meurent dans le Tabernacle. Ils y étaient entrés pour y apporter des encens. Enivrés qu’ils étaient par la sainteté et l’élévation du jour, dans un élan d’amour fou, ils avaient voulu manifester leurs sentiments d’adoration pour D-ieu. Rachi témoigne que Nadav et Avihou étaient de grands personnages, plus grands encore que Moché et Aaron[2]. Pourquoi ont-ils donc mérités la mort en ce moment de pure élévation ? Le texte est explicite à ce sujet: « ils apportèrent un feu étranger qui ne leur avait point été ordonné »[3]. Personne ne leur avait demandé d’apporter cette offrande.
Quelles que soient leur grandeur et la pureté de leurs intentions, ils n’avaient pas le droit de prendre l’initiative. On n’entre pas dans l’Endroit Saint sans y être invité. Ils ont péché par un surplus d’amour. Le judaïsme est d’abord une obéissance. On ne peut manifester ses sentiments d’amour que dans le cadre prévu par la loi.
PARACHAT HA’HODESH
Cette idée est exprimée dans un passage de la Thora qu’on lit parfois en même temps que la Paracha de Chemini; il s’agit de la Parachat Ha’hodesh (Paracha du mois). En effet le Chabbat qui précède le mois de Nissan s’appelle « Chabbat Ha’hodesh », le Chabbat du Mois. On y lit le 12ème chapitre de l’Exode qui débute par l’obligation d’appeler le mois de Nissan le premier des mois de l’année. Cette Mitsva est la première d’une foule de commandements qui concernent l’agneau pascal et la fête de Pessach. Quelle loi bizarre, appeler un mois « premier » !
Rachi explique le sens de cette Mitsva dans son premier commentaire sur la Thora. Il affirme qu’on aurait dù commencer la Thora par la « Parachat Ha’hodesh », car – dit-il – c’est le premier commandement que les hébreux reçurent après la sortie d’Egypte. Rachi exprime ici l’idée que le but premier du judaïsme, c’est de vivre conformément aux lois de la Thora, au Choul’han Arou’h. Aussi, D-ieu à défaut de commencer la Thora par ce chapitre, lui a donné de l’importantce en le lisant le « Chabbat Ha’hodesh ». Considérer Nissan comme le premier mois de l’année plutôt que Tichri, date anniversaire de la création, signifie donner la primauté à l’obéissance.
Aaron, à la mort de ses enfants va expérimenter jusqu’où doit aller l’obéissance.
Elle prime les sentiments humains. Ce jour, comme il avait la responsabilité de l’inauguration du Tabernacle, il lui fut interdit d’exprimer ses sentiments de deuil: « Moché s’adressa à Aaron, et à Eleazar et Itamar ses enfants « Ne laissez point pousser vos cheveux et ne déchirez point vos vêtements sous peine de mort et D-ieu verserait sa colère sur toute la communauté… Ne sortez point du Tabernacle (c’est à dire n’accompagnez point vos proches à leur dernière demeure) sous peine de mort…Et Moïse parla à Aaron et à Eleazar et Itamar ses enfants rescapés « Prenez l’offrande … et mangez là à côté de l’autel … et la poitrine du balancement et la cuisse du prélèvement vous mangerez… »[4] Le sens du devoir, la sainteté et la joie de ce jour devaient effacer leur deuil personnel. Aussi, bien qu’un « Onene » (statut d’une personne le jour où elle a perdu un proche parent) soit dispensé de tous les commandements de la Tora, il ne met pas les Tefilines et ne récite par les bénédictions par exemple, Aaron et ses enfants devaient oublier leur état et poursuivre leur service comme si de rien n’était.
De nos jours aussi, il y a une expression hala’hique de la primauté de la loi sur les sentiments lors d’un deuil. Ainsi quelqu’un qui a perdu un proche parent un Chabbat ne sera « Onen » qu’à la sortie du Chabbat. Jusqu’à la tombée de la nuit, il doit poursuivre sa vie chabbatique comme à l’accoutumée.
STUPEFACTION DE MOCHE
Moché recherche le bouc expiatoire. Il découvre qu’il est brûlé; Aaron et ses enfants ne l’ont pas consommés. « Moché se met en colère contre Eleazar et Itamar les fils rescapés d’Aaron et leur dit: « Pourquoi n’avez-vous pas mangé le bouc expiatoire … vous êtes pourtant chargés d’expier les fautes de la communauté en le mangeant »[5].
Les rescapés n’auraient-ils pas compris la leçon ! Ont-ils oublié le jour même de la mort de leur frêre qu’il ne faut en rien modifier les ordres divins !
C’est Aaron qui répond. Sa phrase est elliptique. C’est Rachi qui en explique le sens. Aaron dit en substance qu’il faut distinguer deux types de sacrifices apportés ce 1er Nissan – ceux qui concernent l’inauguration du Tabernacle lui-même et qu’il ne fallait offrir qu’à cette occasion;
-les sacrifices habituels que l’on apportera encore le jour d’inauguration passé, tels que les sacrifices journaliers, ceux de la Néoménie et des fêtes.
Aaron maintient que l’ordre de D-ieu d’ignorer son deuil ne concernait que les sacrifices spécifiques à l’inauguration; le bouc brûlé était le bouc expiatoire que l’on devait apporter à chaque Néoménie.
Pourquoi cette différence ? Qui avait dit à Aaron qu’il fallait faire cette distinction ?
Un morceau de phrase prononcé par Aaron et expliqué par Rabbi Saadia Gaon peut nous permettre de mieux comprendre l’attitude d’Aaron: « il m’est arrivé un tel événement ! » et Rabbi Saadia Gaon explique que cela signifie « il m’est arrivé un si grand malheur ! » Aaron dit: « Je reste un être humain; il n’est pas pensable que la Hala’ha ne m’ait pas laissé un espace – si petit soit-il – pour exprimer ma douleur. Aussi, m’a-t-il semblé évident que l’ordre ne concernait que les festivités du jour ». D’ailleurs dans les lois du deuil le Chabbat, le deuil n’est levé que pour ce qui est public; mais en ce qui concerne ce qui est intime les lois sont maintenues.
Cette idée que malgré la primauté de la loi, celle ci comporte une dimension humaine se trouve également dans la « Parachat Ha’hodesh ». En effet du verset ‘ce mois est pour vous le premier des mois’ on apprend également l’obligation de fixer le premier jour du mois par une déclaration solenelle ainsi que toutes les lois qui concernent le calendrier; Du mot « la’hem », « par vous » ou « pour vous » nos sages enseignent que le calendrier n’est pas fixé uniquement selon les règles de
l’astronomie, fixation du premier jour du mois à l’apparition de la nouvelle lune. Mais il y a la possibilité de déplacer d’un jour la fixation du mois si les sages le jugent utile pour le confort de la population, par exemple pour empêcher que le jeûne de Kippour précède ou suive immédiatement un Chabbat. Voici donc que le calendrier qui dépend du temps, domaine sur lequel l’homme n’a aucune emprise, est fixé par les hommes en fonction de leurs besoins.
Aussi, dit Aaron, certes je suis au service du peuple et ceci prime sur mes drames personnels, mais ceux-ci ne peuvent pas être ignorés complètement.
LA FONCTION D’AARON
C’est Aaron qui a compris comme évidente la distinction entre les sacrifices spécifiques du jour et les sacrifices réguliers, parce que, Grand Prêtre, il est au carrefour des exigences de D-ieu et des besoins de l’homme. Il est chargé des sacrifices collectifs commes des sacrifices apportés par les individus.
On peut ainsi comprendre la prière que le Grand Prêtre doit prononcer lorsqu’il entre dans le Saint des Saints le jour de Kippour. Il demande à D-ieu de ne pas écouter les prières des voyageurs qui Le supplient de ne pas faire tomber la pluie et il demande également à D-ieu de soutenir toutes les femmes qui attendent un enfant afin qu’elles puissent mener leur grossesse à terme.
D’une part, garant de l’intérêt général, il demande que les égoïsmes ne prennent pas le dessus sur l’intérêt collectif, mais, d’autre part, soucieux de chacun, il prie D-ieu pour qu’Il soutienne chaque future maman.
« Sois un disciple d’Aaron, aime la paix, poursuis la paix, aime toutes les créatures et rapproche les de la Thora ».
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[1] Lévitique 9, 23 et 24
[2] Rachi sur Lévitique 10, 3
[3] Lévitique 10, 1
[4] Lévitique 10, – et 7 et 12 à 14
[5] Lévitique 10, 16 et 17