Vaye’hi – Le vice et la vertu
Rav Nahum Botschko
Dans la paracha de Vayé‘hi, la dernière du livre de la Genèse, Jacob bénit ses fils. Pourtant, quand vient le tour de Siméon et de Lévi, il semble qu’il les réprimande plus qu’il ne les bénit :
Siméon et Lévi sont frères. Instruments de violence que leurs carrières. Puissé-je rester à l’écart de leurs projets. Que mon honneur ne se risque pas en leur connivence. Car dans leur colère ils ont tué un homme et par leur volonté ils ont castré un taureau. Maudite leur colère quand elle est insolente, et leur indignation lorsqu’elle est sévère. Je les répartirai en Jacob et les disperserai en Israël.[1]
Les commentateurs expliquent que les mots « dans leur colère ils ont tué un homme » concerne le meurtre des habitants de Sichem, ce qui laisse entendre que Jacob n’approuvait pas la vendetta exercée par Siméon et Lévi à la suite de l’affaire de leur sœur Dina. Toutefois, les Sages ont enseigné que la Thora a précisé « les frères de Dina » pour nous dire qu’ayant risqué leur vie pour elle, ils se sont acquis le mérite d’être appelés ses frères[2]. Sans doute peut-on dire qu’ils sont dignes d’éloges pour avoir endossé cette responsabilité, mais que leur réaction a été trop brutale.
Jacob achève ses propos en annonçant : « Je les répartirai en Jacob et les disperserai en Israël » ce qui se présente comme un châtiment.
Mais il en est qui l’ont expliqué autrement. Au contraire, Siméon et Lévi possédant des vertus d’impétuosité et d’inflexibilité, Jacob les bénit afin qu’ils usent de ces vertus d’une manière qui soit utile à leurs frères : je répartirai et distribuerai l’impétuosité et l’inflexibilité à ceux qui œuvrent à réaliser l’ouvrage de Jacob et d’Israël, c’est-à-dire à transformer leur ouvrage pour le bien, de sorte qu’ils répondent à l’injonction traditionnelle : « Soit fort comme in tigre… pour réaliser la volonté de ton Père qui est au ciel. »
« Et ainsi, la “raideur de nuque” n’est que bénéfique pour Israël afin de rester fidèles à leurs lois et ne pas céder aux appels des séductions étrangères. » C’est-à-dire qu’avoir la nuque raide sera utile afin de pouvoir s’en tenir solidement à la foi d’Israël contre toutes les calomnies. Jacob bénit Siméon et Lévi et leur assigne la mission de parcourir tout le pays et de propager la Thora grâce à leur courage et à leur détermination : « il n’y a de livres et d’instructeurs des petits enfants si ce n’est de Siméon. » C’est aussi ce que dira Moïse dans sa bénédiction à la tribu de Lévi : « Ils enseigneront tes lois à Jacob et ta Thora à Israël… »[3]
C’est un principe de première importance que le Kéli Yaqar enseigne ici : Sachez que vices et vertus ne sont pas des valeurs en soi. Les forces qui les animent peuvent dirigées vers le bien ou vers le mal. Les forces dites négatives peuvent – et doivent – être mises au service du bien. L’insolence et la « raideur de nuque » qui peuvent apparaître comme négatives peuvent être mises à profit de manière positive. Nul ne peut céder au désespoir en se disant : « Je suis né avec de mauvaises dispositions et je suis voué à être mauvais ! » À Dieu ne plaise ! Il est vrai qu’il n’est pas possible d’inverser une disposition négative et que le caractère de quelqu’un ne peut être radicalement modifié, mais il est possible de réorienter les énergies vers le bien.
Rabbi Tzadoq Hacohen de Lublin écrit[4] : « Nulle faculté implantée en une personne d’Israël ne peut être considérée comme absolument mauvaise de sorte qu’il faudrait la transmuter, car il n’existe aucune disposition ni faculté qui ne possède aussi un bon côté. Il faut seulement l’utiliser selon la volonté divine. Et s’il n’y a pas conformité à la volonté divine, même les « vertus » se trouvent viciées. C’est-à-dire que même ce qui nous paraît être une vertu, comme la bonté ou la générosité, si elle ne s’exerce pas à bon escient et avec juste mesure, cesse d’être bonne et se dénature. Par exemple, si quelqu’un que nous savons être un narcomane invétéré se livre à la mendicité et que la pitié nous incline à lui donner de l’argent, nous nous rendons complices de son vice et nous lui avons nuit au lieu de lui venir en aide. De même celui qui gâte ses enfants avec beaucoup d’amour sans se montrer jamais sévère à leur égard risque de rater leur éducation.
Rapportons, pour finir, ce qu’écrit le rav Kook[5] :
« L’homme droit doit avoir confiance en sa vie. Il doit croire que sa vie propre et que les sentiments qui procèdent avec droiture des fondements de son être, sont bons et droits et qu’ils conduisent sur la voie de la droiture »
Parce que
« C’est le bien qui est absolu, durable, et le mal n’est qu’imaginaire. Par conséquent, il suffit d’épurer les idées et de renforcer l’esprit pour tout transmuer en bien. »[6]
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Traduit par Rav E. Simsovic
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[1] Genèse 49, 5-7.
[2] Cf. Rachi ci-dessus Genèse 34, 25.
[3] D’après rabbi Ephraïm de Lonshitz, Kéli Yaqar, Beréchit 49, 7.
[4] Tzidqat HaTzadiq, 47.
[5] Orot Hathora XI, 2.
[6] Arpilé Tohar, page 48.