Terouma – le Sanctuaire : offrande obligatoire ou volontaire
Rav Nahum Botschko
« Parle aux Enfants d’Israël, et ils prendront pour moi une offrande; de la part de tout homme que son cœur y portera, vous prendrez mon offrande.[1] »
Les expressions « ils prendront », « vous prendrez », qui véhiculent la notion de commandement et d’obligation semblent contredire ce que le verset formule en disant « de la part de tout homme que son cœur y portera » ; la générosité du cœur suppose en effet que celui qui donne, donne de lui-même, de sa propre initiative. Il n’est pas besoin de lui prendre ce qu’il veut donner. Pourquoi, dans la même phrase, la Thora parle-t-elle de commandement – c’est-à-dire de contrainte et, dans un même souffle, de don procédant de la bonne volonté, c’est-à-dire de l’initiative généreuse du donneur ?
Il est bien évident qu’une telle formulation n’est pas gratuite. Cette offrande était destinée à la construction du Tabernacle. Aussi vraissemblablement que ce paradoxe va nous permettre de mieux comprendre ce que le Tabernacle signifie pour la conscience juive.
Le Talmud (Baba Qama 38a) rapporte l’enseignement suivant de rabbi Hanina : « Celui qui est soumis à une obligation et la réalise est supérieur à celui qui la réalise sans y être soumis. » Deux personnes auront donc accompli exactement le même geste de vertu, l’un par obligation et l’autre par bonne volonté autonome et, pour rabbi Hanina, le premier est supérieur au deuxième !? Voilà une bien étrange innovation ! Le bon sens ne nous suggère-t-il pas au contraire que la vertu spontanée devrait être jugée meilleure que l’acte accomplit sous la contrainte d’un commandement ?
Selon rabbi Hanina, il n’en est rien. L’homme, par nature, est doué d’une tendance à rejeter toute autorité. Celle-ci éveille même chez lui une réaction d’opposition à tout ordre imposé. Celui qui fait de lui-même une bonne action n’a pas à se mesurer avec cette tendance ; il fait ce qu’il fait parce qu’il lui semble que c’est ce qu’il convient de faire. Par contre, celui qui agit par ordre voit tout de suite l’instinct de rébellion s’opposer à la conduite proposée, et il doit faire effort pour accepter de se soumettre à la volonté de celui qui commande. Un tel homme possède donc une valeur supérieure. Toutefois, il est bien évident que l’acte volontaire est aussi méritant puisque sa volonté autonome se confond avec la volonté divine.
L’offrande du sanctuaire que les Hébreux devaient apporter devait posséder deux dimensions : « vous prendrez mon offrande », prélèvement sur les biens personnels pour accomplir le commandement par soumission absolue à la volonté divine ; « que son cœur y portera », offrande donnée du fond du cœur par pure bonne volonté. De cette manière se trouvent conjuguées les qualités propres aux deux attitudes, l’obéissance et l’enthousiasme.
La conjonction de ces deux dimensions est nécessaire car la manifestation de la Présence divine dans le monde d’en bas ne peut procéder que de leur union : « ils me feront un sanctuaire et je résiderai au milieu d’eux. » L’ambigüité apparente de la formule par laquelle la Thora a formulé son projet : « de la part de tout homme que son cœur y portera, vous prendrez mon offrande » exprime donc avec une précision absolue la nature même de la conduite exigée.
Cette offrande est destinée à la construction du sanctuaire, lieu dédié au service d’Hachem. Celui-ci requiert deux vertus en particulier : l’amour et la crainte. Ces vertus apparaissent elles aussi comme s’opposant l’une à l’autre. Mais nos sages nous ont enseigné qu’il est impossible de servir Dieu authentiquement sans que l’amour et la crainte soient associés l’une à l’autre dans notre effort. La mitzva de l’offrande du sanctuaire révèle la présence de cette exigence comme fondation de la possibilité même du service demandé : soumission à la volonté divine en vertu de la crainte et don volontaire en vertu de l’amour.
Rabbi Mochè Hayyim Luzatto écrit : « l’amour et la crainte approchent l’homme de son Créateur et l’attachent à Lui ; cela s’entend de l’amour et de la crainte authentiques, c’est-à-dire du pur amour de Dieu et non de l’amour de la rétribution, de la crainte révérencielle et non de la crainte du châtiment. » (Derekh Hachem, ivème partie, chapitre 3)
Efforçons-nous aussi de contribuer de notre énergie et de nos biens, par bonne volonté comme par sentiment d’obligation, à toutes les entreprises qui œuvrent à la manifestation de la Présence divine parmi nous.
Traduit et adapté par R.E. Simsowitch
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[1] Chemoth xxv, 2.