Rav Nahum Botschko -Pirké Avot – l’étude en soi, ou pour sa mise en pratique ?
Pirké Avot – l’étude en soi, ou pour sa mise en pratique ?
Le midrach Cho‘her tov (Midrach sur les Psaumes I, 8) rapporte que le roi David a
demandé à Dieu que quiconque s’adonnerait à l’étude et à la récitation
des Psaumes soit considéré comme s’il s’était adonné à l’étude des cas
d’impureté, autrement dit, que la lecture des Psaumes soit équivalente à
l’étude des sujets les plus complexes de la Thora !
Que pouvons-nous apprendre de cette requête du roi David ?
Rabbi Hayim de Volozhyne s’est appuyé sur cet enseignement du
midrach pour affirmer (Néfech HaHayim, 4ème portique, chapitre 2) que « les
halakhot du Talmud, résultat de longues études théoriques, sont un objet
d’étude plus élevé et mieux apprécié par Dieu que la récitation des
Psaumes1. »
Se fondant sur cet enseignement et d’autres semblables, rabbi Hayim de
Volozhyne (chapitres 2 et 3) explique que « l’étude désintéressée (= lichma)
de la Thora ne suppose nullement, comme beaucoup semblent le croire
aujourd’hui, la communion (devêqut) avec Dieu… Mais en vérité, l’étude
désintéressée de la Thora signifie étude de la Thora en vue de la Thora…
pour la connaître pour la comprendre, pour en tirer un enseignement et
une suite et non dans un but de contestation et d’auto-satisfaction2 »,
ainsi que l’enseigne rabbénou Acher (dit « le Roch ») sur Nédarim 51a.
Cela signifie que l’étude de la Thora lichma consiste à étudier afin de
magnifier et de diffuser la Thora, afin que la parole de Dieu soit présente
dans le monde ; et cela implique que le but principal est global et non
personnel et que la visée n’est pas d’élever l’homme afin qu’il parvienne
au niveau de la devêqut, l’attachement mystique ou communion avec
Dieu. De même, le rav Abraham Yitzhaq Hacohen Kook écrit dans Orot
HaThora (II, 1) : « La Thora lichma, cela veut dire au nom de la Thora. Car
c’est la volonté de Dieu que la sagesse soit présente au monde réellement
et de manière virtuelle ; il s’agit de la réalité la plus délectable et la
meilleure que tout ce qui peut se concevoir. »
Ces sources nous permettent de comprendre que l’étude de la Thora
possède une valeur en soi et que Sa volonté est qu’elle soit diffusée dans
le monde. Et de fait, dans le monde des yéchivoth et dans tous les lieux
d’étude, on étudie abondamment, on approfondit, on discute et on
propose des renouvellements du sens (‘hidouchim) même dans des
domaines qui semblent ne pas être du tout pertinents dans notre monde
moderne et qui n’y ont pas d’application pratique.
Par ailleurs, nous lisons cette semaine le quatrième chapitre des Pirqé
Avoth, où la cinquième michna déclare : « Rabbi Yichmaël enseigne qu’à
celui qui étudie en vue d’enseigner on rend possible d’étudier et
d’enseigner ; et à celui qui étudie afin de mettre en pratique, on rend
possible d’étudier et d’enseigner, de préserver et de pratiquer. » Il en
ressort clairement que c’est la mise en pratique qui est l’essentiel de la
finalité de l’étude, de telle sorte qu’elle ne reste pas théorique. L’objectif
est que l’étude conduise à la transformation des actes, de la conduite, au
travers de la pratique des mitzvoth et de l’attachement au Créateur. C’est
aussi ce qui ressort d’une autre michna des Pirqé Avoth que nous avons
étudiés la semaine passée (chapitre III, 9) : « celui dont les actes l’emportent
sur sa sagesse, sa sagesse se perpétue… » alors que « celui dont la
sagesse l’emporte sur ses actes, sa sagesse ne se conserve pas. »
Comment concilier ces enseignements qui semblent affirmer le contraire
l’un de l’autre ? L’étude de la Thora a-t-elle une valeur en soi ou n’a-t-
elle d’autre but que de permettre la pratique des mitzvoth ?
Il faut bien se rendre compte du fait que l’étude de la Thora comporte
deux dimensions qui se complètent. Elle a bien évidemment une valeur en
soi, puisqu’aussi bien, il s’agit de la manifestation de la parole divine
dans le monde. Et même si cette étude n’a pas de conséquences concrètes,
immédiates, sur la vie de tous les jours, par elle-même cette étude diffuse
le Nom divin dans le monde et elle est une source d’intense bénédiction.
Cependant, il faut bien se garder de faire de l’étude une espèce d’exercice
intellectuel théorique privé de sens, à la manière des thèses
philosophiques qui discutent sempiternellement sans jamais exiger quoi
que ce soit de l’homme quant à sa conduite et sa manière de vivre. Il n’y
a pas pire profanation que celle que constitue la conduite indigne de
quelqu’un supposé porter le nom de la Thora. C’est pourquoi il est
indispensable que l’étude de la Thora, en plus de sa valeur intrinsèque,
mène l’homme à l’amendement de sa conduite que ce soit envers son
prochain ou envers Dieu.
1 Cf. L’Âme de la vie, traduction B. Gross, Verdier « Les Dix Paroles », 1986, page 176.
2 Ibidem, pages 176 et 177.