Massé – L´assassin et les villes de refuge
Rav Shaoul David Botschko
« Celui qui tue par inadvertance devra se réfugier dans une ville de refuge. Il n’aura pas le droit d’en sortir. S’il sort de la ville de refuge et que le vengeur de sang le rencontre et le tue, le vengeur de sang sera acquitté[1] ».
Quelques questions se posent à la lecture de ce passage :
– Comment se fait-il que celui qui n’a pas finalement fait qu’un accident soit puni si sévèrement : résidence assignée durant de nombreuses années et « légalisation » d’une éventuelle vendetta ?
– Quel est le rapport entre la faute commise et la punition choisie : l’exil ?
– » Il y restera jusqu’à la mort du grand prêtre », poursuit le texte. Quel est le lien entre le grand prêtre et l’assassin qui entraîne que la punition de l’un dépende de la vie de l’autre ?
Rachi répond à cette dernière question : « Tant que le grand prêtre vit, l’assassin devra rester en exil; en effet, il en est antithèse. Alors que l’action du grand prêtre amène la Présence divine sur Israël et prolonge les jours de ses semblables, l’assassin, lui, fait fuir la Présence divine et raccourcit la vie de ses semblables; c’est pourquoi, il ne mérite pas de vivre en sa présence »[2].
C’est l’acte qui compte
Celui qui a tué par inadvertance n’est pas celui qui a aucune responsabilité comme dans le cas
de force majeure où il sera quitte. Il est celui qui, par son manque d’attention, on pourrait dire, par son manque de respect de la vie d’autrui, a entraîné un accident mortel. L’homme ne doit pas être jugé seulement sur ses intentions, mais également sur ses actes.
Le grand prêtre n’est pas un médecin, mais son exemple, sa manière d’être, l’intérêt, la préoccupation, on pourrait même dire, l’amour qu’il porte à chacun influencent ses contemporains. Ceux-ci deviennent meilleurs, respectent davantage autrui, et c’est ainsi que le grand prêtre « prolonge » la vie de ses frères. Au contraire, le comportement de celui qui est négligent sème le malheur. Il faut se rappeler « qu’il raccourcit les jours », qu’il est un criminel.
L’ensemble de notre Paracha insiste sur le fait que le « je ne l’ai pas fait exprès, je ne l’ai pas voulu » ne sont pas des excuses qui permettent de faire oublier ce qu’il s’est passé. En effet, on insiste sur la présence du « vengeur de sang ». Il est là pour nous rappeler la présence des victimes de cette négligence. En ne punissant pas le vengeur de sang qui aura tué l’assassin, qui s’arroge le droit de quitter la ville qui lui a été assignée, la Thora enseigne que le négligent est un criminel.
L’assassin n’est pas seulement celui qui presse sur la gâchette, c’est aussi celui qui ne se soucie pas d’autrui, en ayant un comportement dangereux ou en refusant tout simplement son secours.
C’est ce qu’exprime Rachi dans Sanhédrin, qui explique que « celui qui a tué par inadvertance mérite la mort, et que ce n’est pas grâce à la mansuétude divine que sa peine est commuée en exil »[3].
Le Midrash qui affirme que celui qui s’abstient de porter assistance à une personne en danger est considéré comme celui qui a transgressé le commandement « Tu ne tueras point » abonde dans le même sens.
L’Autre et l’autre
Lorsqu’un non-juif se présenta devant Hillel et lui demanda de résumer toute la Thora alors qu’il se tenait sur un pied, il reçut la réponse suivante : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, le reste est commentaires : vas et étudies »[4].
Hillel n’ignore pas que la Thora comprend aussi bien les règles qui concernent les relations entre les hommes que celles qui régissent les rapports entre l’homme et D-ieu.
Ce que nous enseigne Hillel, c’est que ces deux aspects ne sont qu’un. Lorsque le non-juif demandait un résumé de la Thora, il attendait la loi religieuse par excellence. La réponse d’Hillel était que la crainte de D-ieu passe par le respect d’autrui.
C’est pourquoi, pour le judaïsme, celui qui porte atteinte à la vie de son prochain porte atteinte à D-ieu lui-même et fait ainsi partir sa présence de la terre.
La terre d’Israël est le pays de la Présence divine par excellence[5]. Aussi exil dans une ville de refuge est une loi qui n’est expliquée qu’en Israël. C’est parce que l’assassin fait fuir la Présence divine qu’il doit lui aussi s’exiler.
Celui qui a tué par inadvertance est puni car la négligence est un crime. Il est exilé car il a exilé la Présence divine. Cet exil durera tant que vivra le grand prêtre car il en est antithèse.
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[1] Nombres 35, 21 à 28
[2] Rachi sur Nombres 35, 25
[3] Sanhédrin 57a
[4] Chabbath 31a
[5] Deutéronome 11, 12