Rav Shaoul David Botschko – La mitzva de la semaine : Ki Tetsé – L’interdiction du mariage avec les Ammonites et les Moabites, pourquoi ?
« Parce qu’ils ne sont pas venus au-devant de vous avec du pain et de l’eau lorsque vous êtes sortis d’Égypte et parce qu’il a stipendié contre toi Bile‘am fils de Bé‘or de Ptor Aram Naharayim pour te maudire. » (Deutéronome xxiii, 5)
Étonnant verset ! C’est cela qui disqualifierait un peuple !? Ils n’ont ni tué ni massacré, ils n’ont pas asservi Israël pendant plus de deux siècles. Leur seul tort serait de ne pas avoir pratiqué l’hospitalité et d’avoir engagé une espèce de sorcier pour proférer des incantations ou des imprécations… Cette raison nous semble vraiment insuffisante !
Oui, sans doute, mais c’est cela que la Thora dit. Il nous incombe donc de tenter de comprendre plutôt que de juger. Peut-être qu’en l’occurrence, c’est notre raison qui est insuffisante ? Peut-être que c’est notre culture qui est défaillante dans l’appréciation des critères du bien et du mal ?
Les Sages enseignent que la générosité bienveillante, ce qu’en hébreu on appelle guémilouth ‘hassadim, qui consiste à combler autrui de bonté, est en quelque sorte le « label de qualité » d’Israël, sa vertu fondatrice, un infaillible critère d’identification.
C’est cette vertu d’Abraham qui le désigne d’emblée comme l’homme qui a inversé la marche du monde qui depuis Caïn allait de désastre en malheur. C’est avec Abraham que la dimension de fraternité réapparaît. Rivka sera-t-elle capable de donner à boire à l’étranger ? C’est ce critère qu’Éliézer choisit pour trouver celle qui sera digne de devenir l’épouse d’Isaac. Jacob partant fonder la famille des tribus d’Israël s’engage à la charité par le don de la dîme et de la dîme de la dîme. Lorsque les frères de Joseph se montreront oublieux de cette vertu, l’exil en sera la sanction, et l’esclavage d’Égypte et l’oppression. À nouveau, la tendance s’inversera avec l’intervention des sages-femmes (faudrait-il dire des femmes sages ?) Chifra et Poûa qui mettent leur propre vie en danger en désobéissant aux ordres de Pharaon parce qu’elles prennent en pitié les petits enfants nouveau-nés des Hébreux. Or donc, les peuples et les nations incapables de générosité à l’égard des réfugiés ne sont pas dignes de pouvoir s’intégrer au peuple d’Israël.
La Thora rappelle comme en passant l’origine de Bile‘am. Il vient d’Aram Naharayim. C’est un Araméen, concitoyen de Laban, l’oncle et le beau-père de Jacob. Ce si proche parent dont la Haggada de Pessa‘h nous dit qu’il était pire que Pharaon. Il voulait, dit-elle, déraciner totalement tout Israël. Le premier génocidaire, c’est Laban ! La Thora ne le dit pas explicitement ? Si ; encore faut-il savoir ou plus exactement accepter de le voir [1]. Les criminels en col blanc. Le porc qui tend ses pattes disant : voyez, je suis pur, j’ai le sabot fendu ! Ils font des dons aux œuvres charitables et paraissent vertueux. D’authentiques tzadiqim ! Ils ne prennent pas de risques. Ils voulaient détruire Israël, mais sans se salir les mains. On engage un sorcier, un devin à l’efficacité redoutable et publiquement prouvée par des prouesses passées [2].
La Thora dévoile la vérité. Elle juge les pensées et les actes. L’intention de nuire qui n’a été déjouée que par la peur ou par l’impuissance n’est peut-être pas punissable par les tribunaux, mais cela ne signifie pas que l’immoralité ne doive pas être sanctionnée.
En ces jours où déjà les solennités de Tichri éclairent notre horizon, jours de repentir et de [demande de] pardon, notre effort essentiel doit être sans doute de purifier notre cœur.
[1] Cf. en Genèse xxxi, 29 l’aveu explicite de Laban : « je voudrais vous nuire, et j’en ai le pouvoir, mais j’en suis empêché parce que le Dieu de vos pères m’a dit hier ; garde toi de parler à Jacob en bien comme en mal… »
[2] Cf. Nombres xxii, 6 : « Car je sais que … celui que tu maudis sera maudit… » Rachi : puisque c’est grâce à tes pouvoirs que Si‘hôn a pu vaincre Moab.