Rav Shaoul David Botschko – La mitsva de la paracha : Parachat Behar – Le prêt à intérêt et la sortie d´Egypte
Notre Paracha traite de l’interdiction de prêter avec intérêt. Par l’étude d’une question particulière nous allons tenter de comprendre une des raisons de cet interdit.
Question
Un homme a prêté de l’argent à son ami sans intérêt. Lorsque ce dernier rendit l’argent, il ajouta un chèque comme cadeau de Bar Mitsva pour le fils du prêteur. Ce chèque était d’un montant bien supérieur à celui que l’on a l’habitude de donner pour une Bar-Mitsva. A-t-on le droit d’accepter ce cadeau?
Développement
La Thora elle-même interdit le prêt à intérêt (en hébreu Ribbit) « Lorsque tu prêteras de l’argent à ton prochain, le pauvre qui habite avec toi, tu ne lui prendras point d’intérêt.[1]
Curieusement, les sages du Talmud expliquent que cette interdiction ne concerne pas que le prêteur, mais également l’emprunteur, les témoins et tous ceux qui ont un rapport avec la transaction.
Pourquoi cette sévérité particulière? La Tora donne une indication qui aide à mieux comprendre le sens de cette loi. En effet, elle conclut ainsi cette interdiction: « Je suis l’Eternel votre D-ieu qui vous ai sorti du pays d’Egypte et vous ai donné la terre de Canaan pour y être votre D-ieu »1.
Le Talmud explique ainsi le rapport entre la sortie d’Egypte et le Ribbit :
D’ici on apprend que celui qui accepte le joug de la loi sur les intérêts, accepte le joug divin, tandis que celui qui s’en débarrasse, est considéré comme s’il rejetait tous les commandements. C’est sous la condition que vous acceptiez les lois concernant l’intérêt que Je vous ai sorti d’Egypte, car quiconque se soumet à ces lois reconnaît la sortie d’Egypte, tandis que celui qui les dénie, dénie également la sortie d’Egypte.
Le Talmud donne ici une leçon essentielle: certes le Ribbit n’est pas en lui-même un crime. En effet, les intérêts sont le loyer du capital immobilisé. Les exiger est une nécessité dans une société régie par des lois économiques. Mais, font remarquer les Sages, c’est cette même logique, l’impérialisme des lois du marché, la primauté de l’économie sur l’humain qui a amené la mise en esclavage du peuple hébreu devenu ainsi une main d’oeuvre bon marché et corvéable à merci.
Les juifs sont sortis d’Egypte pour enseigner au monde une logique différente, celle où c’est l’économie qui est au service de l’homme. Il ne faut pas que l’homme devienne l’esclave des exigences des lois du marché.
Tous ceux qui participent, prêteur, emprunteur, témoins au prêt à intérêts se soumettent à la loi du marché et c’est cela que Dieu interdit.
Ainsi la Tora elle-même (Deorayta) n’interdit que le prêt à intérêts dont les modalités sont fixées à l’avance, car il est alors l’expression d’un accord économique entre les deux partenaires.
Mais les sages d’Israël (miderabanan) ont interdit à l’emprunteur de rembourser au prêteur plus que ce que celui-ci lui a prêté même s’il s’agit d’un geste spontané de sa part et qui ne répond donc pas à une logique économique, geste qui exprime les sentiments de reconnaissance de l’emprunteur qui a été secouru grâce au prêt:
Il lui a emprunté de l’argent; si au moment du remboursement, il lui donne un cadeau et lui dit qu’il s’agit d’un dédommagement pour l’immobilisation de son argent, il aura transgressé la loi du Ribbit[2].
Le cas où l’emprunteur donne un cadeau au fils du prêteur n’est pas mentionné explicitement dans le Choul’han Arou’h le code de lois du judaïsme, mais un cas qui lui ressemble est rapporté: Il est interdit de donner de l’argent à un jeune – qui est encore dépendant de son père – pour que celui-ci intervienne auprès de son père pour l’obtention d’un prêt[3].
On pourrait en déduire qu’il revient au-même de donner de l’argent en plus au prêteur ou à son fils et par conséquent qu’il serait interdit d’accepter le chèque pour le Bar-Mitsva.
Mais en fait il y a des distinctions essentielles entre notre cas, celui où l’argent donné en plus, l’est au moment du remboursement et le cas du Choul’han Arou’h, où l’argent est donné pour obtenir un prêt.
En effet, dans ce dernier cas, l’argent donné répond à un besoin économique; il s’agit en fait d’une commission. Il fait ce geste pour obtenir le prêt, tandis que celui qui ne le donne qu’au moment du remboursement, le donne pour exprimer sa gratitude. Aussi, on peut envisager que l’interdiction de donner l’argent au fils du prêteur n’a cours que lorsque l’on donne cet argent avant le prêt pour l’obtenir, mais pas dans le cadre du cadeau de Bar-Mitsva, car dans ce cas là, le cadeau ne correspond pas à une logique économique.
D’autre part, d’après certains décisionnaires (Tour au nom de Rachi) même lorsque le cadeau est donné au prêteur lui-même au moment du remboursement, ce n’est interdit que si celui qui rembourse dit explicitement que ce cadeau représente un dédommagement pour le prêteur qui n’a pas pu faire fructifier son argent.
Rabbi Yossef Caro n’a pas retenu cette opinion malgré le fait qu’elle ressorte de la lecture première de la Michna; il tranche que même si l’emprunteur se taisait, il n’aurait pas le droit d’ajouter de l’argent au moment du remboursement.
On peut donner deux explications de cette opinion sévère de Rabbi Yossef Caro.
D’une part, si l’emprunteur donne son cadeau au moment du remboursement – et surtout s’il est d’une certaine importance – c’est comme s’il explicitait qu’il le donnait en tant que dédommagement.
D’autre part les sages veulent empêcher que les personnes n’usent de stratagèmes pour détourner la loi du Ribbit. En effet, on pourrait craindre que l’emprunteur fasse comprendre au prêteur qu’il saura, le temps venu, le récompenser.
On ne peut invoquer ni l’un ni l’autre de ces arguments lorsque le cadeau est donné au fils du prêteur. En effet, on ne peut pas dire que, même sans l’exprimer explicitement, il s’agisse d’un dédommagement pour l’immobilisation de l’argent, mais il semble bien qu’il s’agit plutôt d’un signe de reconnaissance, une manière de dire merci; de plus, dans ce cas, il n’y a pas lieu de craindre de stratagème, l’argent n’étant pas donné au prêteur lui-même.
D’après ces explications, le père peut remettre à son fils le cadeau qu’il a reçu de l’emprunteur pour la Bar Mitsva de son fils.
D’après le Rav Shaoul Yisraéli (dans un courrier envoyé par le Kollel Erets Hémda au soussigné), s’il est interdit de donner « la commission » au fils du prêteur, c’est parce que cela pourrait permettre au prêteur lui-même de faire des économies, son fils ayant besoin de recevoir moins d’argent de son père.
D’après cette explication, il faudrait également interdire de donner le cadeau au Bar-Mitsva, ce cadeau pouvant également amener une économie au prêteur. Aussi, il préconise de mettre l’argent de côté jusqu’à ce que le fils grandisse et ne dépende plus économiquement de son père.
Cette brève étude est un aperçu des discussions abordées sur les questions les plus diverses de la vie, développements nécessaires pour celui qui veut diriger son comportement selon la Hala’ha, mot qui désigne un vécu du judaïsme dans le respect et de la loi et de l’esprit de la loi.
Le respect de la loi du Ribbit en particulier – explique le Rav Kasher – est un témoignage de la soumission à la Loi. En effet, dit-il :
La loi du Ribbit est difficile à respecter et celui qui s’y soumet témoigne de la manière la plus éloquente qu’il a accepté le joug divin, car celui qui respecte les lois du Ribbit témoigne da sa foi que Dieu est celui qui s’occupe du monde, nourrit et subvient aux besoins de chacun. Il fait confiance qu’il ne manquera de rien même s’il renonce aux intérêts. C’est cet esprit que Dieu a voulu nous inculquer en Egypte. Aussi, celui qui rejette les lois du Ribbit, pense que son gagne-pain dépend uniquement de ses forces, capacités et intelligence; celui-là montre ainsi qu’il ne croit pas en D-ieu en tant que « surveillant » du monde[4].
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[1] Lévitique Chap. 25
[2] Michna Baba Metsia Chap. 5
[3] Yoré Déa 160
[4] Commentaire du Rav Kasher sur la Parachat Behar