PARADOXE
Nous lisons le premier chapitre de notre Paracha à Yom Kippour. Ce jour-là est un jour redoutable comme en témoigne ce passage du Mah’zor que l’hazan récite chaque année avec tant de solennité : « Ounetané Tokef… Racontons la puissance et la sainteté de ce jour car il est redoutable et menaçant. Ce jour-là Ton règne s’affermit. Tu prends place sur Ton Trône avec miséricorde et vérité. Il est vrai que Tu es le Juge, l’Accusateur et en même temps le Témoin. Tu écris, Tu scelles et Tu te souviens de tout ce qui est oublié. Tu ouvres le livre des souvenirs, il se lit de lui même et la signature de chaque homme s’y trouve. Et le souffle puissant d’un grand choffar retentit, puis c’est le murmure de D-ieu que l’on perçoit. Les anges sont alors pris de panique. Ils sont saisis par l’angoisse et le tremblement. Ils disent : C’est le jour du jugement. » Et pourtant, nous chantons dans nos synagogues ce jour-là. Dans certaines communautés, un hymne de joie est entonné même pour le « Al ‘Het », passage de la prière dans lequel nous énumérons nos fautes. Approfondissons à partir de notre chapitre la signification de Yom Kippour pour expliquer ce paradoxe.
LES DEUX BOUCS On devait amener deux boucs rigoureusement identiques et le Grand-Prêtre tirait au sort entre eux, l’un était « destiné à D-ieu » comme sacrifice expiatoire, l’autre devait être expédié à « Azazel », c’est-à-dire amené au loin dans le désert et projeté du haut d’une falaise. Selon la tradition, ces deux boucs ont des fonctions diamétralement opposées : celui destiné à D-ieu témoigne du désir de l’homme de s’approcher de Lui, tandis que le bouc pour « Azazel » représente le mal qui est en l’homme et qui, l’entraîne vers le désert pour s’y perdre finalement. L’un, c’est Jacob le Parfait, l’autre c’est Esaü le Chasseur disent nos commentateurs. Jacob et Esaü étaient des jumeaux, ils avaient reçu la même éducation et si l’un est devenu pieux et l’autre impie, ce fut la conséquence de leur libre choix. Même des parents comme Isaac et Rivka ne sont pas une garantie qu’un Esaü ne sera pas issu d’eux et inversement le prophète Obadia et un descendant direct d’Esaü. Le tirage au sort entre deux animaux identiques vient nous rappeler qu’il n’y a pas de prédestination, chacun peut s’il le désire s’approcher de D-ieu comme il peut s’éloigner de Lui. L’homme peut également changer. Rien ne distinguait d’abord les deux boucs, puis soudain l’un s’était tourné vers D-ieu, l’autre vers Azazel. Et l’homme doit savoir également qu’il devra rendre compte de son choix; S’il choisit Azazel, il se détruira dans le désert; S’il se tourne vers D-ieu, il s’élèvera vers Lui.
LIBERTE ET RESPONSABILITE C’est dans cette possibilité de choisir et avec pour corollaire sa responsabilité que se trouve la véritable grandeur de l’homme, ce sont eux qui le distinguent du reste de la création; c’est cela qui fait de l’homme « presque l’égal de D-ieu »[1]. « Tout est dans la main de D-ieu sauf la crainte de D-ieu » disent nos sages[2]. Juger un homme, c’est reconnaître sa responsabilité, mais aussi son indépendance; le pardonner gratuitement, c’est en faire un être irresponsable, un être inférieur. Nous savons que toutes nos actions sont inscrites dans le Grand Livre. Nous savons que D-ieu ne fait pas de cadeaux à Yom Kippour. Nous savons que seuls « le repentir, la prière et la Charité peuvent annuler le décret divin »[3]. Nous savons que c’est nous qui construisons notre avenir. Nous chantons car D-ieu nous a créés à Son Image.
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[1] Psaumes 8, 6
[2] Bera'hot 33b
[3] Mah'zor