Vayelekh – Derrière le voile
Rav Shaoul David Botschko
Moïse est à la veille de sa mort. D ieu lui demande alors de préparer Josué à lui succéder; D ieu s’adresse alors à Moïse et à Josué ensemble et prononce des avertissements extrêmement sévères:
« D ieu dit à Moïse: voici tu vas mourir et ce peuple va se lever et il suivra le dieu des peuples étrangers. Il M’abandonnera et renversera Mon Alliance. Ma fureur s’abattra sur lui ce jour là. Je l’abandonnerai et Je voilerai Ma Face. Il sera consumé et il sera atteint par de nombreux et terrifiants malheurs. Et il dira ce jour-là: c’est parce qu’il n’y a point de D ieu parmi nous que ces malheurs sont arrivés. Moi, Je cacherai Ma Face, car il s’est tourné vers d’autres dieux. Et maintenant, écrivez (Moïse et Josué) pour vous ce poème, et enseignez le au peuple d’Israël, qu’il l’apprenne par coeur, afin que ce poème soit un témoignage pour les enfants d’Israël. Car, Je l’emmènerai vers la terre que J’ai juré à leurs pères, le pays où coulent le lait et le miel. Il mangera, il sera rassasié, il prendra de l’embonpoint, il se tournera vers d’autres dieux, il les servira. Il Me mettra en colère et renversera Mon Alliance. Et ce sera lorsque tous les malheurs se réaliseront, ce poème sera pour lui un témoignage, car il (le poème) ne sera pas oublié de sa descendance… »[1]
Rachi et de nombreux autres commentateurs expliquent que le poème dont parle ici la Thora est le chant de la Paracha « Haazinou » qui développe et explicite les idées dites ici de manière très succincte. Mais « Haazinou » conclut par une idée qui semble fondamentalement différente de celle exposée ici: D ieu fait le serment que finalement, Il libérera Israël, le ramènera sur sa terre et rétablira Sa Gloire et ceci sans conditions aucunes:
« Voici, il n’y a dans ce chant aucune condition de repentir, car il s’agit d’un engagement total de D ieu, qui, même s’il nous punit pour le mal que nous commettons, Il ne nous détruira pas, Il reviendra à nous, Il punira nos ennemis et Il pardonnera nos fautes pour La Gloire de Son Nom »[2].
LA CONSOLATION CACHEE
Aussi, Rachi, en expliquant que le poème dont on parle ici n’est pas constitué par les versets terrifiants cités plus haut mais par le chant de Haazinou, montre-t-il que nos versets, eux aussi par delà leur sévérité, cachent une grande consolation.
« Je voilerai Ma Face »; cette phrase, dite par D ieu, signifie justement qu’Il n’est jamais absent, qu’Il ne fait que se soustraire à nos regards. De plus, cette absence, ayant été annoncée avec force, devient une Présence, un message, une parole. Elle est un appel surtout. Un appel au repentir. Donc un signe d’affection. C’est ainsi que les avertissements de Vayele’h témoignent du lien d’amour que D ieu conserve en tout temps avec le peuple d’Israël. Ils sont donc les précurseurs des promesses de « Haazinou ».
« VOUS » : QUI EST CE ?
» Et maintenant écrivez pour vous ce poème de ce verset on apprend qu’il y a une Mitsva pour chaque juif d’écrire toute le Thora »[3].
L’interprétation des sages du Talmud se distingue sur deux points de l’interprétation littérale rapportée par Rachi : ce commandement ne s’adresse pas seulement à Moïse et à Josué, mais à chaque juif. Et le poème n’est pas identifié uniquement par « Haazinou », mais c’est toute la Tora qui doit être écrite par chacun. Quelles sont les expressions qui ont amené nos sages à s’écarter de la compréhension littérale du texte ?
Nos sages se sont peut être posés la question : pourquoi Moïse devait il écrire ce poème si sa mort était imminente ? Si c’était uniquement pour que les enfants d’Israël le possède, il suffisait que Josué ou n’importe quel scribe le retranscrive. Aussi nos sages ont ils compris que si c’est une Mitsva pour un homme d’écrire la Thora le jour de sa mort, c’est que l’écriture de la Thora n’est pas seulement un moyen pour conserver le texte, mais c’est qu’il s’agit d’une Mitsva en elle même par laquelle l’homme s’identifie à la Thora. Aussi, ne suffit-il pas que Moïse seul écrive la Thora, les hébreux se contentant de la lire et de l’étudier. Non ! Il faut que chaque juif prenne sa plume et qu’il s’applique à écrire une à une chaque lettre, faisant ainsi corps avec chacune d’entre elles. Si c’est à Moïse que D ieu adresse cette Mitsva, ce n’est pas parce qu’il serait le seul concerné, mais parce qu’il est le modèle de l’identification à la Thora.
LA BONNE NOUVELLE DISSIMULEE
Le dernier verset du paragraphe va nous montrer que derrière ce poème se cache toute la loi :
« Et ce sera lorsque tous ces malheurs se réaliseront, ce poème sera pour lui un témoignage car il (le poème) ne sera pas oublié de sa descendance ».
Curieusement, Rachi lui même dans son commentaire admet implicitement que c’est de la Thora toute entière qu’il s’agit ici : « Ce verset est une bonne nouvelle pour Israël, malgré leurs égarements, jamais ils n’oublieront la Tora. »
Si Rachi accepte que dans ce verset le mot poème signifie la Thora toute entière, c’est parce que le poème pris au sens étroit parle justement de la fidélité à D ieu et à sa Thora; aussi apprendre par coeur ce poème sans se souvenir de la Thora n’a aucun sens. On est donc obligé de comprendre que non seulement le poème au sens étroit ne sera pas oublié, mais que la Thora toute entière avec ses lois et commandements sera toujours gardée et respectée.
Aussi, l’interprétation des sages du Talmud est-elle tout à fait légitime; en effet, si le mot poème signifie la Thora toute entière à la fin du paragraphe, c’est cette signification qu’il doit avoir également au début du paragraphe lorsque D ieu ordonne de l’écrire. Le verset signifie donc que chacun doit écrire la Thora qui contient le témoignage et l’avertissement de « Haazinou ».
Et c’est bien cette Mitsva, d’écrire un Sefer Thora, qui explique que même si D ieu a voilé Sa Face, Il revient pour sauver Israël. En effet, grâce à cette Mitsva, Israël s’est identifié à la Thora. C’est pourquoi, même si, au cours des âges, très nombreux ont été les juifs qui ont abandonné le judaïsme, il est toujours resté des enfants d’Israël fidèles.
Cette fidélité a une valeur toute particulière au temps où D ieu s’est apparemment caché. C’est ce mérite qui permet au peuple tout entier de devenir les témoins du temps du dévoilement de D ieu.
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[1] Deutéronome 31, 14 à 27
[2] Commentaire du Ramban, dit Nachmanides, sur Deutéronome 32, 40
[3] Sanhédrin 21b