Rav Shaoul David Botschko – La mitzva de la semaine : Parachat VeZoth haBerakha – Impôts et exemptions
Les talmidé ‘hakhamim, étudiants perpétuels de la Thora, sont-ils exemptés des impôts prélevés au titre de la sécurité nationale [1] ?
Au début de la paracha, nous lisons ce verset de bénédiction concernant l’ensemble de la collectivité d’Israël (Devarim xxxiii, 3) :
« Tu chéris même les peuples, tous ses saints sont dans Ta main, et eux sont couchés à Tes pieds, porteur de Tes paroles. »
Ce verset, dont la syntaxe appartient manifestement au lyrisme poétique des derniers discours de Moïse, a été interprété par le Talmud de façon très terre à terre comme signifiant que les talmidé ‘hakhamim sont exemptés du paiement des impôts (Bava Bathra 8a) :
« Rav Na‘hman fils de rav ‘Hisda imposait le paiement de la capitation aux Sages. Rav Na‘hman fils d’Isaac lui dit – tu transgresses la Thora … puisqu’il est écrit : “Tu chéris même les peuples, tous ses saints sont dans Ta main.” Moïse a dit devant le Saint, source des bénédictions, Maître du monde, même lorsque Tu chéris les peuples [et leur donne suprématie sur Israël], “tous ses saints sont dans Ta main” [que les talmidé ‘hakhamim soient uniquement dans ta main et ne soient pas assujettis aux nations et soient donc dispensés du paiement des impôts]. “Et eux sont couchés à Tes pieds” – rav Yossef en enseigné : il s’agit des talmidé ‘hakhamim qui fatiguent leurs pieds de ville en ville et de cité en cité ; “porteur de Tes paroles” – pour enseigner les paroles de Ta Thora. »
Rav Na‘hman fils de rav ‘Hisda voulait soumettre les talmidé ‘hakhamim à l’impôt, comme tout un chacun. Rav Na‘hman fils d’Isaac lui a répondu que ce faisant il contrevenait à une claire disposition de la Thora, selon laquelle, même lorsqu’Israël est sous la domination des Nations, c’est Hachem Lui-même qui assure la protection des Sages et qu’ils n’ont donc pas à y participer.
Ceci peut-il servir de source pour dispenser les talmidé ‘hakhamim du paiement des impôts de notre temps ? Rabbi David ben Zimra (Espagne 1479 – Safed 1573) écrit déjà de son temps en réponse à une question qui lui a été soumise qu’il ne convient pas de dire que les talmidé ‘hakhamim n’ont pas besoin de protection (Responsa, 2ème partie, § 352) :
« Tu m’as interrogé et je te donnerai mon avis au sujet de la controverse survenue à Jérusalem entre les gens du commun et les talmidé ‘hakhamim concernant les frais de gardiennage du quartier. »
Il répond qu’étant donné que, dans le cas d’espèce, les talmidé ‘hakhamim étaient intéressés à jouir de la protection, la question ne se pose même pas. Et il ajoute :
« Et cela, bien qu’il existe encore une autre raison. En effet, je ne suis pas sûr qu’il existe aujourd’hui des gens qui n’ont pas besoin de protection. Je ne poursuis pas davantage l’examen de la question car ce que j’aurais à en dire affligerait quelques sages et le silence vaut donc mieux que la parole. »
Plus près de nous, le ‘Hatam Sofer (rabbi Mochè Sofer, 1762–1839) que cette règle ne concerne pas les impôts dus à l’Etat juif :
« Sache aussi qu’à mon humble avis l’exemption ne concerne que le cas où en exil les Juifs doivent se protéger des risques dus à leur situation au sein des nations [2]. Mais en ce qui concerne la protection de l’Etat face aux autres Etats, même les Sages doivent y participer. »
Il y a lieu de préciser qu’à l’époque, les talmidé ‘hakhamim servaient les communautés bénévolement et assuraient difficilement les besoins quotidiens de leur famille pendant le peu de temps qu’il leur restait ; il était donc normal de ne pas exiger d’eux, en plus, qu’ils participent aux charges communautaires.
La décision du rav Ouziel [3] (Michpeté Ouziel, Yoré Dé‘a, 39) va dans ce sens, assujettissant les talmidé ‘hakhamim au paiement des impôts, expliquant que c’est analogue à la tzedaqa pour venir en aide aux pauvres et que les talmidé ‘hakhamim y sont aussi tenus. « Les talmidé ‘hakhamim seraient-ils dispensés des mitzvoth ? » C’est aussi ce qu’écrit le rav Ye‘hiel Yaacov Weinberg (Pologne 1884 – Montreux, Suisse, 1966), dans ses Responsa (Seridé Ech, 1ère partie, § 138).
Tout ceci nous permet de constater que depuis déjà longtemps, les plus grands des Maîtres, achkénazes et séfarades, ont tranché la question : les talmidé ‘hakhamim sont tenus de nos jours de payer les impôts au même titre que tous.
L’argument souvent avancé que ce seraient eux qui, par leur étude, garantiraient la sécurité du peuple, ce qui les dispenserait d’y participer financièrement ou physiquement, est donc totalement irrecevable.
[1] En fait, tous les impôts servant au bon fonctionnement de la société.
[2] C’est-à-dire protéger leur ghetto – entretien d’une muraille, patrouilles et rondes de gardiens…