Rav Nahum Botschko – Pirké Avot – « est sage qui apprend de tout homme »
Pirké Avot – « est sage qui apprend de tout homme »
Nous avons coutume, dans toutes les communautés d’Israël, d’étudier
durant la période allant de Pessah à Chavouoth, le traité des Pères. Ce traité
comportant six chapitres, nous en lisons et étudions un chaque chabbat.
Nous lisons donc le chapitre 4 dont voici la première
michna :
« Ben Zoma enseigne :
1. Qui est digne d’être appelé « sage » ? Celui qui apprend de tout
homme,
2. Qui est digne d’être appelé « vaillant » ? Celui qui maîtrise ses
tendances,
3. Qui est digne d’être appelé « riche » ? Celui qui se réjouit de ce qu’il
possède.
4. Qui est digne d’être honoré ? Celui qui honore les créatures. »
Le profond dire de Ben Zoma nous invite à la réflexion : Existe-t-il un
dénominateur commun entre les quatre définitions données de qui peut
s’enorgueillir de posséder l’une au moins de ces quatre valeurs : la sagesse,
la vaillance, la richesse et les honneurs ?
Une première remarque s’impose à l’analyse : les jugements que nous
portons généralement les uns sur les autres dans le cadre du fonctionnement
social sont dictés par des conventions issues d’un certain consensus. Ainsi,
la valeur intellectuelle de quelqu’un sera évaluée en fonction de ses résultats
à des examens : une mention au bac, un « psychométrique » brillant, une
maîtrise ou un doctorat. En un mot, une érudition encyclopédique qui rend
capable de répondre savamment à toute question, voilà un critère bien
précis. Et celui qui au contraire ne peut pas présenter un curriculum
universitaire sérieux sera pratiquement considéré comme un analphabète. Il
en va de même pour la richesse qui sera mesurée à l’opulence des
possessions, la vaillance sera évaluée à la taille des muscles. Quant aux
honneurs, hé bien c’est simple : de quelles relations peut-on se prévaloir, de
quelle renommée ? À quelles courbettes a-t-on droit de la part de combien
de gens ?
Bien sûr, d’une génération à l’autre et d’un milieu à l’autre, les critères de
détail peuvent varier, mais néanmoins, les constantes sont bien ancrées dans
la conscience collective.
Ben Zoma nous invite à nous libérer de ces conceptions qui ne voient que
l’aspect extérieur et contingent de la réalité. Il nous appelle à nous élever
vers une vision plus authentique, plus essentielle. À voir les choses de
l’intérieur et même – si l’on ose dire – à les voir à la manière dont Dieu les
voit. Car les définitions données par Ben Zoma ne nous permettent peut-être
pas d’apprécier ce qu’il en est d’autrui, mais elles nous donnent en tout cas
une clé nous permettant de nous juger nous-mêmes. Suis-je vraiment sage,
vaillant, riche, honorable ?
Dans un premier temps, il semblerait que Ben Zoma nous propose une évaluation subjectiviste.
En réalité, il nous enseigne que les vertus ne sont pas objets de possession,
mais d’une disposition de la conscience :
la sagesse n’est pas érudition, elle est attitude d’ouverture sur
l’inconnu, l’étranger ; elle est capacité d’apprentissage et non possession de
connaissances. Elle n’est pas affaire de quantité de savoir ni, en fait, de
diplômes, elle est affaire de manière d’être, d’identité. Car ouverture et
capacité d’absorption sans limites peuvent aboutir à un éclectisme où la
vérité finalement disparaît au profit d’un pluralisme aléatoire. Le sage
vraiment est toujours en quête de la dimension de vérité qui peut se trouver
dans une position ou conception opposée à la sienne, connue et reconnue
comme telle, mais qui ne pourrait elle-même subsister si elle ne possédait
pas aussi cette part de vérité.
Des raisonnements analogues peuvent être tenus pour expliquer ce qu’il en
est de la richesse, de la vaillance et des honneurs. Car une richesse toujours
insatisfaite est une conscience perpétuellement pauvre, une vaillance qui ne
se mesure qu’à plus faible que soi est sans consistance et les honneurs n’ont
de prix véritable que pour qui est honorable et non pour qui est seulement
honoré. Ce sont donc dans les combats menés avec – et, s’il le faut, contre –
soi-même que se trouve la mesure de l’authenticité des valeurs recherchées.
Lorsque le prophète Samuel reçoit la mission de se rendre dans la maison de
Jessé à Bethlehem pour y oindre le futur roi d’Israël, il rencontre d’abord
Eliav, l’aîné et il lui paraît digne d’être roi. Dieu lui dit alors : « ne considère
pas son apparence, ni sa haute taille, car quant à Moi je le dédaigne ; car
l’homme voit ce qui est visible aux yeux, tandis qu’Hachem va droit au
cœur. »
On pourrait ajouter que Ben Zoma nous enseigne que ceci n’est pas
seulement vrai de la réalité extérieure ; notre première réaction s’arrête
souvent aux apparences et elle est de ce fait erronée. Il nous faut donc
marquer un temps d’arrêt et y regarder de plus près.
En ces jours qui vont de la fête de l’Indépendance, Yom Hatzmaout, à la fête
de Jérusalem, Yom Yérouchalayim, il est bon que nous suivions l’exemple
du rav Kook qui savait poser un regard pénétrant sur la réalité et voir la
grande lumière qui couve au cœur du sionisme, même si son aspect
extérieur semble parfois contredire les principes fondamentaux qui font la
pérennité d’Israël.