Paracha Noa’h – La racine du Mal dans le Monde
Rav Nahum Botshko
Le Talmud, à la page 6a du traité Bérakhot, nous enseigne comment reconnaître la présence des « malfaisants » (maziqim), et comment les voir réellement :
celui qui veut s’assurer de l’existence des maziqim doit prendre de la cendre tamisée qu’il dispersera autour de son lit ; au matin, il constatera dans la cendre des traces semblables à celles de pattes de coq. Celui qui veut les voir doit prendre le placenta d’une chatte noire fille de chatte noire, chatte première-née d’une chatte première-née ; il brûlera le placenta dans le feu, le pulvérisera et s’en mettra dans les yeux.
Quiconque lit ce texte ne peut que rester pantois et frappé de stupeur. Qu’est-ce que tout cela veut-dire ? Cette guémara peut-elle être prise au pied de la lettre ?
Le rav Kook, dans son ouvrage Ein Aya où il commente les aggadot du Talmud, explique de manière systématique ces propos de nos sages audelà de la littéralité du texte et en dégage le sens profond : « Les maziqim sont l’expression du mal dans le monde. Celui qui veut “les connaître”, celui-là cherche à observer et comprendre les racines du mal, afin de pouvoir, à partir de cette connaissance, se mesurer au mal dans le monde et le combattre. »
« La cendre tamisée » représente le summum de la division : La cendre désigne la division. Avant d’être brûlé, ce corps faisait bloc et le voilà maintenant transformé en corpuscules tous séparés les uns des autres autant qu’il est possible. « Le coq » représente le summum de la recherche de jouissance et de l’égocentrisme : « ainsi que l’enseigne un autre texte, “afin que les disciples de sages ne soient pas dans la promiscuité de leurs épouses comme des coqs”, ce pourquoi le coq représente l’engoncement dans les désirs matériels » comme le coq qui ne cesse de s’accoupler tout au long du jour. C’est la raison pour laquelle les « malfaisants » ont été comparés aux traces laissées par les pattes de coq dans la cendre. בס »ד
« Le chat » représente l’oubli du Créateur, ainsi que l’enseignent nos maîtres (Horayoth 13a), le chat ne reconnaissant pas son maître. Et le rav poursuit son analyse expliquant longuement tous les détails de cette page du Talmud.
Ces trois choses, la division, le désir et l’oubli du Créateur sont donc à la racine des maziqim dans le monde. Et dans la paracha de Noah, la Thora décrit effectivement la génération du Déluge comme ayant fauté à ces trois points de vue : elle s’est rendue coupable de rapine : « la terre s’était emplie de violence » ce que Rachi explique comme désignant le brigandage. Elle s’est rendue coupable de perversion sexuelle, donnant libre cours à tous les désirs au point que sa conduite a déteint jusque sur les animaux : « car toute chair avait perverti sa voie sur la terre. » Rabbi Yohanan a enseigné : cela nous apprend qu’ils ont accouplé des animaux domestiques avec les bêtes sauvages et celles-ci avec ceux-là et tous avec les humains et l’homme avec toutes. » Et ils se sont aussi rendus coupables de l’oubli du Créateur en pratiquant l’idolâtrie : « et la terre se pervertit devant Dieu… » On a enseigné à l’école de rabbi Yichmael : « partout où il est question de perversion, il ne s’agit de rien d’autre que de débauche et d’idolâtrie. » (Sanhédrin 57a) Ainsi donc, la génération du Déluge a commis toutes les fautes liées aux racines du mal dans le monde : elle a commis le brigandage, qui exprime la division entre les hommes, elle a commis la débauche qui résulte de l’abandon effréné aux désirs et elle a commis l’idolâtrie qui est oubli du Créateur.
À la fin de la paracha, la Thora rapporte la faute de la génération de Babel, dite « génération de la dispersion », faute qui consiste essentiellement en une révolte contre Dieu, ce qui a causé sa perte. Mais il est intéressant de noter la grande différence entre la sanction de la génération du Déluge de celle de Babel. La génération du Déluge a été entièrement effacée de sur la surface de la terre, entraînant quasiment la destruction du monde entier, tandis que la génération de Babel s’est vu sanctionnée seulement par l’éclatement de l’humanité pécheresse dispersée dès lors aux quatre coins du monde. Pourquoi ? La raison en est que la faute de la génération du Déluge s’est exercée aussi à l’encontre des hommes tandis que celle de Babel ne s’est exercée בס »ד que contre Dieu. Or Dieu n’accepte aucunement un état de division absolue entre les hommes ce pourquoi le sort de cette génération a été scellé à cause du brigandage (Rachi sur Genèse 11, 9).
Chabbat Chalom
Traduit par Rav E. Simsovic