Mikets – Le soleil et la lune se prosternent : nature ou miracle ?
Rav Shaoul David Botschko
Joseph rêve d’abord que onze gerbes se prosternent devant la sienne. Si ce songe est une prophétie selon laquelle les frères de Joseph se prosterneront devant lui, il se comprend aussi dans une dimension historique: Les frères de Joseph auront besoin des qualités de Joseph pour survivre, et, plus tard, le Messie, fils de David, n’apparaîtra qu’une fois que le Messie, fils de Joseph, aura fait son oeuvre.
Le deuxième rêve de Joseph est plus difficile à comprendre. En effet, il rêve que le soleil et la lune, c’est-à-dire son père et la femme de son père, Léa, se prosterneront, ainsi que ses onze frères, devant lui. La signification première annonce l’histoire qui va se passer effectivement. En effet, son père et Léa se sont prosternés devant Joseph. Mais il nous reste à comprendre pourquoi, en fait, Jacob et Léa devaient se prosterner devant Joseph.
Dans le livre de Josué, nous voyons Josué – arrière-petit-fils d’Ephraïm, fils de Joseph – interpeller le soleil et la lune en leur demandant d’arrêter leur trajectoire. Le mot utilisé par la Thora pour dire « arrêter la trajectoire » signifie également: « Tais-toi ». Josué aurait donc donné l’ordre au soleil et à la lune de se taire. Le Midrash explique cela en disant que Josué a donné l’ordre au soleil et à la lune de cesser de dire des louanges au Créateur, que c’était lui maintenant qui voulait s’en charger.
Je crois que ce Midrash ne contredit pas le sens littéral du miracle que Josué a fait en arrêtant le soleil et la lune dans leur trajectoire. En effet, le soleil et la lune louent D-ieu en respectant l’ordre de la création. Nous saisissons la grandeur de D-ieu en prenant conscience combien le monde qu’Il a créé obéit à des règles qui lui ont été précisées dès l’origine. Cet univers n’est pas un univers désordonné, sauvage, qui obéirait aux lois du hasard, mais bien au contraire, un monde merveilleusement organisé, témoigne de la grandeur de son Créateur.
C’est d’ailleurs comme cela, nous raconte le Rambam[1], qu’Abraham Avinou a découvert par lui-même l’existence de D-ieu.
Josué donne l’ordre au soleil et à la lune de se taire, c’est-à-dire qu’il demande à D-ieu d’intervenir dans la guerre qu’il est en train de mener en changeant les lois de la nature telles qu’Il les a créés. La trajectoire du soleil et de la lune sont véritablement des symboles de l’immuabilité et de la perfection de la Création divine. Par cela Josué déclare que l’homme veut prendre le relais de la louange du soleil et de la lune, c’est-à-dire que l’homme veut, par une relation privilégiée que D-ieu exerce avec lui, être témoin actif de la présence de D-ieu sur terre. Ne pas réaliser D-ieu seulement par la nature qu’Il a créée au moment de la création du monde, mais réaliser D-ieu soi-même de manière concrète.
Le Midrash raconte que, lorsque Josué a donné l’ordre au soleil et à la lune de s’arrêter, ceux-ci n’ont pas voulu obéir. Alors Josué leur adit: « Mais mon ancêtre Joseph avait déjà vu en songe que le soleil et la lune allaient se prosterner devant lui ». Alors le soleil et la lune se sont exécutés.
Peut-être que nous pourrons comprendre ces Midrashim de la manière suivante. Abraham, Isaac et Jacob ont bénéficié d’interventions divines dans leur histoire, les miracles n’apparaissent pas de manière évidente. Nous voyons des miracles chez Abraham et Isaac par la naissance miraculeuse de leurs enfants. Mais nous ne voyons pas que D-ieu est intervenu en leur faveur en changeant les lois de la nature. Lorsqu’il y a des miracles pour les Avot, c’est toujours le Midrash qui en parle, mais le texte lui-même n’y fait pas allusion. En particulier en ce qui concerne Jacob, qui s’est enfui devant Esaü, qui a eu affaire ensuite à Lavan, nous ne voyons pas, dans toutes ses luttes, qu’il ait bénéficié de miracles. Envers Esaü, il a dû utiliser toutes sortes de ruses pour l’amadouer.
À partir de Joseph, les enfants d’Israël vont descendre en Egypte et une période d’esclavage terrible va débuter, de laquelle ils vont sortir par des miracles, par des changements dans les lois de la nature. Peut-être est-ce là ce que Joseph entrevoit dans ses songes. Il voit qu’une époque est révolue. Celle où nous réalisons D-ieu dans la nature même qu’Il a créée. Joesph voit que va commencer une époque nouvelle, au cours de laquelle la nature subira des changements pour le Peuple juif.
Si c’est justement Joseph qui entrevoit cela, c’est vraisemblablement pour la raison suivante. Les Avoth, Abraham, Isaac et Jacob sont des hommes parfaits. Nous ne voyons chez eux aucune faiblesse, aucun désir de mal agir. Le Midrash nous dit qu’Abraham a réalisé D-ieu à l’âge de trois ans, qu’Isaac n’a pas hésité une seconde lorsque son père l’a pris pour l’immoler, et que Jacob lui-même désirait entrer au Beth Hamidrash alors qu’il n’était qu’un embryon. Joseph, lui, est un jeune homme qui a des faiblesses. La Thora nous raconte, au début de la Paracha, comment il aime se faire beau, comment, par ailleurs, il a de petits péchés d’orgueil et a été capable de médire de ses frères. Bref, c’est un homme comme tout le monde, un homme avec ses faiblesses.
Ce jeune homme est vendu en Egypte, plongé dans une civilisation étrangère, dans une société tout à fait immorale. Et, au moment le plus difficile, Joseph saura dominer sa nature, ses penchants et ses instincts. Joseph a montré que non seulement l’homme juste dans sa nature depuis son enfance est capable d’agir bien. Il a montré qu’un homme ordinaire est capable des dominer et de se contrôler d’une manière extraordinaire. Alors D-ieu dit: « Si l’homme est capable d’une telle grandeur, s’il est capable de dominer sa nature, eh bien, moi, je vais devoir changer la nature de l’homme. » C’est donc le mérite d’actes comme ceux de Joseph qui fait que D-ieu interviendra en changeant les lois de la nature pour l’homme. Et c’est peut-être la vision de cette époque nouvelle que Joseph a aperçue dans le songe où il voyait son père et Léa se prosterner devant lui.
Si c’est justement Léa qui se prosternera devant lui, et non sa mère, Rah’el, c’est que Rah’el avait également les qualités de Joseph. En effet, Rah’el a donné, le jour de son mariage, le code à sa soeur pour ne pas l’humilier. C’est sans aucun doute un acte de domination de soi extraordinaire qu’une fiancée soit capable de donner le code à sa rivale et de perdre ainsi son mari pour que sa soeur n’est pas honte. C’est pour cela, d’ailleurs, que si Léa a eu des enfants de manière naturelle, Rah’el, qui est stérile, en aura grâce à un miracle.
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[1] Hilkhoth Avoda Zara, Chap. 1