Mikets – L’ère des songes
Rav Shaoul David Botschko
« C’était au bout de deux ans, Pharaon rêve et voici qu’il est debout devant le canal, et voici du canal s’élèvent sept vaches d’un bel aspect et de chair saine. Elles paissaient dans le marais. Et voici sept autres vaches montent après elles du canal, d’un vilain aspect et de chair maigre. Elles se tinrent debout à côté des vaches au bord du canal.
Les vaches d’un vilain aspect et de chair maigre mangèrent les sept vaches saines et d’un bel aspect ; Pharaon se réveilla[1] ».
Après Jacob, Joseph, le maître échanson et le maître panetier, c’est le maître de l’Egypte qui rêve. Il clôt ce qu’on pourrait appeler l’ère des songes.
Historiquement c’est une courte période de l’histoire juive, comme une parenthèse. D-ieu parle à Abraham et à Isaac. A Jacob, il apparaît dans un songe, un songe qui est comme une énigme qu’il faut déchiffrer et interpréter : « Il rêva, et voici qu’une échelle est fixée au sol et que son sommet atteint le ciel, et voici que des anges de D-ieu y montent et y descendent[2] ». La parenthèse ouverte avec Jacob, s’accentue avec Joseph et se ferme avec Pharaon. D-ieu reprend le dialogue direct avec Moïse, puis il s’adressa aux prophètes qui sont considérés comme les successeurs de Moïse.
Il faudra attendre Nabuchodonosor, au temps de Daniel, pour que l’histoire des songes reprenne, quoique de nouveau pour une courte période.
Qu’à donc de particulier l’époque de Joseph pour être ponctuée par toutes ces énigmes ?
Quelle différence y a-t-il entre une vision prophétique et un message divin perçu dans un rêve ?
PROPHETIE ET LIBERTE
Le plus grand des prophètes est Moïse. D-ieu s’adresse à lui directement, comme un homme parle à son prochain, « face à face » dit l’écriture. Dans quel but ?
• Pour lui donner des ordres qu’il doit accomplir immédiatement, « va chez Pharaon », « fais tel ou tel prodige ».
• Pour lui donner la loi, la Thora.
• Pour lui dire d’avertir le peuple des conséquences graves qu’entraîne la désobéissance à la loi et les récompenses que bénéficiera le peuple s’il est fidèle.
• Lui annoncer les temps messianiques, la fin des temps.
Les prophètes suivent cette voie. Ils obéissent à D-ieu qui leur donne parfois des ordres. S’ils n’ajoutent pas des lois à la Thora de Moïse, tous leurs efforts sont dirigés pour amener le peuple au respect de la Thora. Ils grondent et tonnent contre ceux qui s’écartent de la voie droite et décrivent la beauté des temps messianiques ainsi que les affres qui vont les précéder.
Les prophètes sont donc des serviteurs de D-ieu et les maîtres du peuple juif, mais ils ne sont que très rarement des diseurs du lendemain.
La loi est l’essence même de l’existence juive, c’est donc du rôle du prophète d’agir pour son respect. Toutes leurs actions, toutes leurs prophéties vont dans ce sens. Les malheurs s’abattent sur les révoltés, les temps messianiques seront la récompense de l’obéissance. Mais il n’est pas dans leur propos d’être précis dans ce qui arrivera les jours ou les mois qui suivent.
Les rêves de Joseph, des serviteurs de Pharaon et de Pharaon lui-même font exception. Lorsque Joseph rêve, il comprend qu’on lui annonce que c’est lui, le onzième fils, qui dirigera la famille. Il interprétera les songes de ce collègues d’infortune dans les geôles de Pharaon en leur annonçant ce qui allait se passer dans les trois jours ; à Pharaon, il annoncera qu’il bénéficiera précisément de sept ans d’abondance, puis de sept ans de disette.
Ces événements sont donc déterminés ; l’homme n’a pas le pouvoir de modifier leur déroulement. Ceci est contraire au fondement du judaïsme qui veut que l’homme joue un rôle dans le déroulement de son existence.
La loi vient de D-ieu et nous est imposée, la finalité de l’histoire en a été décidée par le Maître ; pour les étapes, le rôle du peuple et de chacun de ses individus est prépondérant. Seules, lorsque les fautes sont si grandes et que le décret est décidé, les prophètes l’annoncent à leur génération dans une dernière tentative pour les ramener à la Téchouva. C’est ainsi par exemple que le prophète Jérémie annonce la destruction du temple, conséquence de la dépravation de la nation.
C’est pourquoi, les paroles annonciatrices de la royauté de Joseph, de la libération du maître échanson, de la condamnation du maître panetier, les années d’abondance et de disette ne peuvent être dites explicitement, elles ne peuvent être que suggérées ; c’est finalement l’interprète, un homme, qui leur donne leur sens et leur dimension.
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[1] Genèse 41, 1 à 4
[2] Genèse 28, 12