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Massé – Vivre en Eretz Israël

Massé – Vivre en Eretz Israël

Rav Shaoul David Botschko

« Vous prendrez possession du pays et vous y habiterez… »[1]
Pour nos grands exégètes, ce verset est à la source d’un commandement capital: celui de monter en Israël. (voir Ramban sur ce verset) Mais, curieusement, Maïmonide dans son « Livre des Commandements » dans lequel il liste toutes les Mitsvot de la Tora ne l’a pas mentionné.
Nombreuses sont les explications données pour expliquer le silence de Maïmonide. Rapportons d’abord le « Meguilat Ester »(1), qui pense que, pour Maïmonide, habiter en Israël n’est pas une Mitzva de la Thora :

Il me semble que la raison pour laquelle Maïmonide n’a pas considéré l’habitation en Israël comme faisant partie des 613 commandements provient du fait que la conquête et l’installation dans le pays n’étaient des commandements que du temps de Moïse, Josué, David et ce tant que les juifs ne furent point exilés de la terre. Mais après qu’ils en aient été chassés, ce commandement n’a plus cours jusqu’à la venue du Messie…

Les commentateurs ont pour la plupart réfuté l’explication du Meguilat Ester, car – disent-il – son interprétation soulève deux interrogations :

a) si l’habitation en Israël était une obligation à l’aube de l’histoire juive et qu’elle devra être rétablie avec la venue du Messie, elle aurait dù figurer parmi les 613 commandements. En effet, Maïmonide a inclus de nombreuses lois qui n’ont pas cours au temps de l’exil, en particulier toutes celles qui ont trait à l’agriculture et au service du Temple. Pourquoi en serait-il autrement de la conquête d’Israël ?

b) Comment peut on prétendre que, selon Maïmonide, il n’y ait point d’obligation d’habiter en Israël alors que celui ci, dans son oeuvre majeure, insiste autant sur l’obligation d’habiter ce pays et ceci dans toutes les époques, notamment :
« En toute époque un homme doit habiter en Israël même dans une ville à majorité
non juive plutôt qu’en dehors du pays même dans une ville à majorité juive »[2].
Il faut expliquer alors que, pour Maïmonide, en temps d’exil, l’obligation d’habiter en Israël serait une obligattion « derabanan », des sages.

En effet, en plus des 613 commandements de la Tora, il existe de nombreuses lois qui ont été instituées par les sages pour conserver l’esprit de la Tora lorsque la lettre ne pouvait être appliquée.
Certes l’installation en Israël ne prend toute sa signification que lorsqu’elle s’intégre dans l’indépendance de la nation.
Les juifs exilés, la recherche de l’indépendance n’étant plus possible on aurait pu craindre que les juifs oublient leur pays.
Aussi les sages d’Israël ont-ils tenu à garder vivaces les liens du peuple juif avec sa terre en instituant en loi : en tant qu’individu, chacun doit s’installer sur la terre de la promesse.

La lecture d’un autre texte de Maïmonide permet d’explorer des pistes nouvelles pour comprendre la place d’Eretz Israël dans son système de pensée :
En effet, il pose comme principe qu’il n’est possible de respecter les fêtes juives en dehors d’Israël que si il y a des juifs qui habitent en Israël. Il rappelle que les fêtes juives dépendent du calendrier, dont la fixation ne peut être établie que par les sages d’Erez Israël. Et Maïmonide ajoute que ce calendrier ne reste valable que tant qu’il reste des juifs dans la mère patrie :
Si on avait pu poser l’hypothèse qu’il n’y ait plus de juifs en Israël ce qui n’arrivera jamais étant donné que D ieu a promis qu’il y aurait toujours une présence juive dans ce pays eh bien notre calendrier serait caduque… car c’est de Sion que doit sortir la Thora[3].

Dans cet esprit l’obligation pour les juifs d’habiter ce pays prend un relief tout particulier même si cette obligation ne faisait pas partie des 613 commandements.
Ainsi les rôles sont renversés, c’est D-ieu qui a promis – une Mitzva qu’Il se serait imposée – que jamais la terre d’Israël ne sera abandonnée des hébreux. Les juifs en se rendant dans le pays « aident » D-ieu ( si on pouvait s’exprimer ainsi) à maintenir Sa promesse.
C’est d’aileurs vraisemblablement ainsi que Maïmonide a dù comprendre le verset qui laissait entendre qu’habiter en Israël était une obligation. Il ne faudrait pas lire ce verset à l’impératif, mais comme une expression de la Volonté divine. (C’est ainsi que Rabbi ‘Hayim Ben Attar, dans son commentaire Or Ha’hayim, explique ce verset)

Nous, juifs qui connaissons cette Volonté, devons tout mettre en oeuvre pour que cette promesse prenne corps.
C’est ce qu’on appelle « Yichouv Eretz Israël », le peuplement de la terre d’Israël.
Maïmonide a clairement légiféré en cette matière en tranchant que même un esclave peut exiger d’habiter en Israël :
Celui qui vend son esclave à un acheteur qui se trouve en dehors d’Israël, l’esclave doit être libéré…Un esclave qui habite avec son maître en dehors d’Israël et qui désire monter en Israël, l’on force son maître à monter avec lui… et cette loi est valable en tout temps, même à notre époque où le pays est dans la main des non juifs[4].

Cette loi, comme de nombreuses autres, a pour but de favoriser le peuplement d’Israël.
Cette notion de « peupler Israël » est admise par tous les législateurs. Mentionnons en particulier Rabbi Yossef Caro, auteur du Choul’han Arou’h qui autorise de faire signer par un non juif une vente d’une terre d’Israël au bénéfice d’un juif[5]. Bien que normalement, les sages aient interdit le jour du Chabbat de faire un des travaux interdits par un non juif même pour accomplir une Mitzva, celle du peuplement d’Israël a une importance toute particulière et fait exception à la règle.

D’autres explications ont été données pour expliquer Maïmonide. Mentionnons un enseignement du Rav KOOK.
Dans son introduction au livre des commandement, Maïmonide explique qu’il ne faut pas compter parmi les 613 commandements les lois qui en englobent beaucoup d’autres, les lois générales. Ainsi, dit il, la Mitzva d’habiter en Israël est fondamentale, générale et englobe de nombreux commandements directement liés à la terre d’Israël qui ont été comptés chacun séparément. Elle ne peut ainsi être décomptée comme une simple Mitzva.

Cette explication ne semble pas à priori tout à fait satisfaisante. En effet, habiter en Eretz Israël est un élément concret qui ne se confond pas avec les autres commandements liés à la terre d’Israël, comme les prélévements obligatoires ou le repos de la terre, l’année sabbattique.

Mon père, le Rav Moshé Botschko donne une explication qui s’approche de celle du Rav KOOK et qui pourrait peut être l’expliquer :
Dès le début de la création, cette terre – qui bénéficie d’une sainteté particulière – a été désignée pour le peuple d’Israël : « Lorsque le Très Haut a partagé la terre entre les nations, lorsqu’il a séparé les hommes, il a fixé les frontières des nations en fonction des enfants d’Israël ». Ce n’est pas une loi, mais une réalité divine, et tout celui qui voudrait modifier cette situation serait comme celui qui veut déraciner l’ordre même de la création.

C’est la raison pour laquelle Maïmonide n’a pas compté l’installation en Israël comme l’un des commandements positifs. Car tout comme il n’y a pas de commandement de manger pour vivre, car c’est une chose naturelle, de la même manière, il est naturel que le peuple d’Israël vive sur sa terre, car c’est là-bas l’endroit où il peut vivre. Ainsi celui qui est en dehors d’Israël, c’est l’exil, la malédiction, c’est contre nature[6].

Ainsi l’exil même s’il a duré de longs siècles, n’est dans une perspective historique, qu’une parenthèse.
Pour le judaïsme, Israël est donc un élément constituant de l’identité juive.
Vivre en exil, c’est vivre une déchirure de son être.

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[1] Nombres 33, 54
[2] Maïmonide, loi des Rois Chap. 5
[3] Livre des Commandements Loi positive n° 15
[4] Maïmonide loi des Esclaves Chap.8 Loi 9
[5] Choul’han Arou’h Ora’h Haïm 307
[6] Rav Moshe Botschko dans Hatzofe

 

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