La mitzva de la semaine par le Rav Shaoul David Botschko : Parachat Vayéchev – La délation
La délation, dans toutes les sociétés, est considérée comme étant une faute grave. Il est pourtant clair que la halakha nous oblige à dénoncer à la justice toute personne dont la conduite est susceptible de nuire au public, et aux faibles en particulier. C’est à ce sujet que la Thora nous met en garde (Lévitique xix, 16) :
« Tu n’iras pas en colporteur contre tes peuples, tu ne seras pas impassible au sang de ton prochain, Je suis Hachem. »
Le rapport entre la première moitié du verset et la seconde ne paraît pas évident. Maïmonide explique, certes, que la médisance peut conduire au meurtre, ce pourquoi il est tout aussi interdit de la commettre que d’y prêter l’oreille. Mais le ‘Hizqouni[1] enseigne au sujet du verset ci-dessus :
« Tu n’iras pas en colporteur… mais si tu as eu vent d’un complot pour assassiner ton prochain, tu ne seras pas impassible à son sang : tu dois l’en avertir. »
C’est donc très clair : si la Thora ordonne de ne pas colporter, elle ordonne tout autant de dénoncer le médisant (ou mal disant) lorsqu’il s’agit de sauver son prochain. C’est bien ce qu’écrit le Pit‘hé Téchouva[2] (Ora‘h ‘Hayim 156) :
« J’estime nécessaire de mentionner ici une chose au sujet de laquelle tous les ouvrages de morale font grand bruit : la faute de la mal-disance (Lachone hara‘). Et moi, je veux agiter le monde en sens contraire, au sujet d’une faute pire encore et bien plus répandue : le silence, se taire quand il faudrait parler, pour sauver la victime des mains de son bourreau. »
Or donc, Joseph a dénoncé ses frères (Genèse xxxvii, 2) :
« Et Joseph a rapporté leur mauvais propos à leur père. »
La Thora ne dit pas explicitement s’il a bien ou mal fait. Mais on peut déceler une allusion critique à son égard lorsque ses frères, après le récit du rêve où ils se prosternent devant lui, lui disent (Genèse xxxvii, 8) :
« Et ses frères lui dirent règnerais-tu sur nous ? Nous gouvernerais-tu ? Et ils le haïrent encore plus pour ses rêves et ses propos. »
Car de même que son père lui reprochera de raconter son rêve à ses frères, de même il semble qu’on le critique pour avoir mal parlé d’eux à son père.
Nous ne soupçonnons pas Joseph d’avoir menti. Il semble donc qu’il ait eu raison de mettre son père au courant, afin qu’il puisse intervenir et éviter que la situation empire. Mais il semble que ses intentions n’aient pas été tout à fait pures. Il n’y avait là aucune intention d’aider ses frères à se racheter ; il s’agissait plutôt de montrer à son père qu’il n’était pas comme eux. Que lui seul n’agit pas contre les valeurs de la famille.
Ce qui nous amène à conclure que même si une conduite est bonne en elle-même, si l’intention qui l’anime n’est pas pure, ces propos ne provoqueront que des problèmes et n’arrangeront rien. Admonester est une grande mitzva, sauver la victime des mains de son agresseur est une obligation absolue. Rapporter pour se mettre soi-même en valeur n’est rien d’autre qu’une faute.
[1] Rabbi ‘Hizqiya ben Manoa‘h, né en France aux alentours de 1250, mort vers 1310. On ne possède pas de détails biographiques. Son commentaire sur la Thora a été publié pour la première fois à Venise en 1524.
[2] R’ Israël Issar ben Mordekhaï Isserlin. Son ouvrage a été publié à Vilna en 1875.