Rav Nahum Botschko : Bechala’h – L’étude de la Thora face aux souffrances
Les Enfants d’Israël arrivent en un lieu nommé Mara (= amertume) immédiatement après la « Déchirure de la mer Rouge ». La Thora[1] nous apprend à ce sujet que « là, Il lui institua loi et jugement ». Nos maîtres, dont l’enseignement est rapporté par Rachi, expliquent : « Il leur a donné à Mara quelques passages de la Thora afin qu’ils s’y occupent, chabbat, la vache rousse et des lois. » C’est-à-dire qu’avant même que les Hébreux aient reçu toute la Thora au Sinaï, ils ont reçu un certain nombre de mitzvoth à Mara.
Juste après, la Thora dit[2] : « Il dit : si écouter, tu écoutes la voix d’Hachem ton Dieu et que tu fais ce qui est droit à Ses yeux, et que tu prêtes l’oreille à Ses mitzvoth et que tu gardes tous Ses décrets, toute la maladie que J’ai placée en Égypte Je ne la placerai pas sur toi car Je suis Hachem qui te guéris. » Ce qui permet à Rech Laqich de conclure (Bérakhot 5a) : « tout un chacun qui est occupé à la Thora, les souffrances s’écartent de lui. » Il reste à comprendre pourquoi c’est précisément l’étude de la Thora qui aurait le privilège d’éloigner de l’homme les souffrances.
Le rav Kook explique qu’une partie des souffrances qui affectent l’homme ont pour objet de révéler en lui d’immenses forces qui, sans cette épreuve, seraient restées ignorées. On peut constater en effet que de nombreuses institutions d’entraide et de soutien ont été créées à la suite de catastrophes ayant atteint aussi bien des familles que des individus – Dieu nous en préserve ! Ces personnes ayant fait l’expérience du deuil et des tourments avaient le choix entre deux réactions possibles : s’enfoncer dans leur souffrance et entrer en dépression ou s’élever du dedans du malheur et, pour s’y opposer, bâtir, créer, être utile à autrui ; prendre des initiatives et promouvoir des actions positives – pour soi-même, sa famille, la collectivité, le peuple tout entier.
Par exemple, l’association « Feu vert » qui lutte en Israël contre la plaie vive des accidents de la circulation a été créée par Avi Naor, le père de Ran Naor ז »ל qui a été tué – âgé de moins de vingt ans – dans un accident de la circulation pendant son service militaire. Autre exemple : l’association « Zikhron Menahem » a été créée par les parents et les amis de Menahem Arental ז »ל qui a lutté pendant plus de quatorze ans contre le cancer dont il souffrait avant de succomber dans la fleur de l’âge. Beaucoup de centres d’étude de la Thora éparpillés à travers le pays ont connu une poussée considérable après l’expulsion de Gouch Qatif. De même avons-nous eu connaissance de nombreux cas de retour à la Thora et aux mitzvoth chez des personnes ayant subi des expériences douloureuses – et chacun de nous peut citer encore d’autres exemples en quantité.
Le rav Kook, commentant un passage du traité Bérakhot[3] écrit :
« … car il est des sortes de souffrances qui peuvent aider efficacement à épurer le caractère et à renforcer la force du bien en l’homme. Or, s’il n’est pas possible à quelqu’un d’étudier la Thora, il ne dispose de ce qui pourrait renforcer chez lui le côté du bien ; c’est pourquoi Dieu lui infligera ce type de souffrances qui auront le pouvoir d’accroître les forces du bien en lui et de rectifier des traits de son caractère. Mais lorsqu’il a la possibilité d’étudier la Thora, alors il dispose de quoi accroître la force du bien… »
Autrement dit, l’homme peut a priori changer et progresser et produire dans le monde des choses utiles à la collectivité et dévoiler les forces positives enfouies en lui grâce à l’étude de la Thora ; seul celui qui n’étudierait pas se verrait infliger des souffrances. Cela s’applique, certes, à une étude de Thora de qualité, une étude telle qu’elle transforme celui qui la pratique, ainsi que l’écrit rabbi Moché Hayyim Luzzatto[4] :
« car ces choses là (les dires de la Thora) sont d’une nature telle que celui qui les étudie avec sainteté et pureté, avec l’intention adéquate qui est de réaliser ce qu’Hachem désire, verra croître et se renforcer en lui une haute valeur et une très grande perfection. »
Ceci devrait nous permettre de comprendre aussi un récit étrange rapporté par le Talmud[5] ; il y est question de trois amoraïm, rabbi Hiyya bar Abba, rabbi Yohanan et rabbi Eleazar qui sont tombés malades (pas simultanément) et ont éprouvé de grandes souffrances. Lorsqu’on leur a demandé si les souffrances leur étaient précieuses, ils ont répondu : « ni elles, ni leur salaire ! » Et tout lecteur de s’étonner : si des Justes de cette envergure ne sont pas intéressés par le salaire de leurs souffrances, à nous, que nous reste-t-il à dire ? Mais, explique le rav Kook, ces Justes-là souhaitaient s’élever par leur propres moyens, par leur service de Dieu par la Thora et les mitzvoth et non par une « aide » extérieure venue du ciel.
On raconte aussi à propos du Gaon de Vilna qui refusait que des secrets lui soient dévoilés d’en haut, car il voulait résoudre par ses propres forces les difficultés qu’il rencontrait dans ses études.
C’est ainsi que le rav Kook écrit[6] :
« Car ils n’ont pas dit cela – à Dieu ne plaise – à la manière de ceux que les souffrances irritent ; mais ces souffrances étant des “souffrances d’amour” envoyées à ceux qui se sont acquis des mérites devant Dieu leur permettant de s’élever plus haut que ce à quoi leur nature les préparait. Ces souffrances visent à réduire cette nature rebelle afin qu’épurée, elle n’entrave pas l’accès aux valeurs qu’avant elle ne connaissait pas. Ceci s’entend comme un bon salaire venu de Dieu. Mais les grands Justes, qui servent Dieu en vérité et toute simplicité, ne veulent pas la moindre valeur ni le moindre avantage, si ce n’est le privilège de servir Dieu… et de jouir du prix de leur propre effort de Thora.
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[1] Chemoth 15, 25.
[2] Ibid., 26.
[3] Ein Aya I, 28.
[4] Derekh Hachem, premier portique, chapitre 4, 9.
[5] Bérakhot 5a.
[6] Ein Aya, ibid., 35.