Rav Nahum Botschko : Bechala’h – La manne et l’étude de la Thora
Notre paracha fait état des plaintes adressées à Moïse et à Aharon par les Hébreux dans le désert :
« Les Enfants d’Israël leur dirent : Ah ! que ne sommes nous morts en Égypte de la main de Dieu, quand nous demeurions sur le pot de viande, que nous mangions du pain à satiété, alors que vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette assemblée ! »
Et Dieu réagit immédiatement :
Dieu dit à Moïse : « Voici, Je vais leur faire pleuvoir du pain du ciel ; le peuple sortira et ramassera sa ration quotidienne, afin que Je l’éprouve, [pour voir] s’il marchera selon Ma Thora ou non » (Chémoth XVI, 3-4)
Que signifient, dans ce contexte, les mots : « afin que Je l’éprouve, [pour voir] s’il marchera selon Ma Thora ou non » ? Israël a faim et s’en plaint. Cette plainte est justifiée, semble-t-il, puisqu’il n’y a rien à manger dans le désert et que Dieu Lui-même promet d’intervenir en faisant pleuvoir du pain du ciel. Apparemment, le but est de donner à manger au peuple affamé. Quelle place y a-t-il la pour une épreuve ?
De nombreux commentateurs se sont attaqués à cette question. Pour notre part, nous allons examiner ici les propos du Kéli Yaqar[1].
« Les empêchements de la pratique et de l’étude de la Thora peuvent être internes et externes.
Les causes internes peuvent être les nourritures grossières qui embrument le cerveau et le rendent opaque à toute pensée épurée (c’est-à-dire que les appétits physiques exacerbés aveuglent les yeux de l’esprit et le rendent incapables d’apprécier et de comprendre la lumière de la Thora).
Les causes externes, ce sont les traversées des mers et des fleuves, la poursuite la satisfaction des besoins matériels dont les soucis détournent de s’occuper de la Thora.
Et plus encore, celui qui dispose de beaucoup plus que ce dont il a besoin n’est pas non plus disponible pour s’occuper de la Thora, car la fortune et les possessions et les richesses à satiété ne lui laissent pas à cette fin le répit nécessaire ! »
La manne descendant du ciel, explique alors le Kéli Yaqar, mettait à l’abri de ces trois obstacles :
1) La manne était pure et nette de tout déchet. Les sages l’appellent « le pain des seigneurs » dont se nourrissent les anges, à savoir de sa dimension spirituelle ; c’est pourquoi elle était tout entière assimilée par les membres du corps sans qu’aucune partie ne doive en être excrétée. La manne ne comportait donc pas la dimension négative de la nourriture matérielle susceptible de faire chuter l’homme à un niveau inférieur.
2) La manne descendait du ciel à proximité de la demeure de chacun, de sorte qu’il n’y avait pas de grands efforts à fournir pour se procurer la subsistance nécessaire.
3) Il n’était pas possible d’en stocker de grandes quantités, au-delà des besoins immédiats de la consommation quotidienne, et par conséquent il n’y avait pas lieu de courir de ci et de là tout le jour durant pour s’enrichir ou garantir des lendemains incertains.
Pour Israël dans le désert, il n’y avait donc aucun des obstacles qui, dans notre réalité, peuvent empêcher l’homme de s’adonner à la Thora ; Dieu peut donc à juste titre attendre d’Israël de ne pas s’en détacher ce que le verset formule en disant : « afin que Je l’éprouve, [pour voir] s’il marchera selon Ma Thora ou non. »
Mais ces conditions de subsistance de la génération du désert n’était pas destinée à durer. Dès l’entrée sur la terre d’Israël, le puits de Myriam et la manne disparaissent. À nouveau, il faudra travailler dur pour vivre et pourtant l’obligation de s’adonner à la Thora demeure. Plus de manne merveilleuse et donc l’épreuve de « marcher selon la Thora ou non » n’a plus lieu d’être.
L’épreuve véritable ne consiste-t-elle pas, malgré le temps et les efforts indispensables pour assurer la subsistance, le désir de richesse, le goût des bonnes choses, de rester conscient de l’importance du souci de la Thora. Les appétits physiques, sans le cadre de la Thora ne peuvent que dresser des écrans entre l’homme et la Thora. Il faudra donc rester vigilant pour bénéficier de toutes les jouissances de la vie de manière telle qu’elles fassent de nous un réceptacle à même d’accueillir la Thora.
Par contre, pour ceux qui étudient à la Yéchiva, à l’abri des préoccupations quotidiennes du monde extérieur, de manière tout à fait semblable aux conditions de vie d’Israël dans le désert, rien ne saurait les empêcher de se consacrer tout entiers à la Thora. L’épreuve véritable viendra le jour où ils quitteront la Yéchiva, devront mener à bien des études destinées à la vie professionnelle, partager leur temps entre le travail et la famille, en un mot : vivre ; il leur faudra pourtant continuer à préserver la place de la Thora dans leur existence et à aménager les temps réservés à son étude.
« Car c’est elle notre vie et la longueur de nos jours et c’est en elle que nous méditerons de jour et de nuit. »
________________________________________
[1] Rabbi Chlomo Ephraïm Lonschitz, Pologne (1550-1619).