Ki Tissa – De l’écoute des dix paroles à l’adoration du veau d’or
Rav Shaoul David Botschko
« Ils dirent à Aharon, fais pour nous ‘Elohim’ qui iront devant nous »[1].
Et Aaron acquiesca: il construisit un veau d’or !
Le peuple qui venait d’entendre D’ieu prononcer les 10 paroles au Mont Sinaï, la nation monothéiste par excellence, 40 jours après la révélation, se met à adorer un animal en or !
Et les hébreux dirent : » Voici tes dieux, Israël, qui te sortirent d’Egypte ». Ils viennent de vivre les plus grands miracles de tous les temps, la preuve vivante de l’inanité des idôles, et voici qu’ils adoptent le culte de leurs anciens bourreaux, deviennent idolâtres eux mêmes.
Quel revirement incompréhensible de l’histoire !
Et Aaron ! Comment peut on imaginer qu’il soit devenu l’instigateur de ce dévoiement ?
LE CENTRE
Certains commentateurs disent qu’il avait agi par peur, ayant assisté à l’exécution de Hour, fils de Miriam, qui avait protesté contre cette déviation. Avraham Ibn Ezra n’accepte pas cette interprétation : en effet, dans l’histoire juive, des personnes de niveau bien moindre qu’Aaron se sont sacrifiées pour ne pas commettre d’idolâtrie Il s’agit, d’après la Loi, d’une des trois fautes majeures pour lesquelles on doit se laisser tuer plutôt que de les commettre. Et si l’on admettait qu’Aaron ait fauté, comment comprendre que D’ieu l’ait confirmé dans ses fonctions de grand prêtre?
D’autres expliquent encore qu’Aaron n’avait pas protesté afin de sauver le peuple de la destruction. Il se serait dit : si je proteste et qu’ils me tuent, le peuple ne pourra bénéficier de circonstances atténuantes, tandis que si je les accompagne dans leurs égarements, ils seront excusables puisqu’ils auront suivi une grande autorité.
Ibn Ezra rejette également cette explication : rien à ses yeux, ne peut justifier l’édification d’une idôle et Aaron aurait dû lutter jusqu’au bout pour empêcher le peuple de commettre cette profanation. C’est D-ieu que le Grand Prêtre doit servir et non l’homme.
LE VOILE
« Toute la terre est pleine de la gloire de D-ieu ». Mais proclamer que D-ieu est partout, qu’Il est omniprésent, revient, pour l’homme, à affirmer qu’Il est nulle part .
Nul homme n’est capable de vivre dans la conscience constante et vivace de la proximité de D-ieu : il ne pourrait ni rire, ni parler, ni se laver, ni se coucher : il serait parcouru d’un tremblement qu’il ne pourrait maîtriser, il serait pétrifié et deviendrait inexistant (« L’homme ne peut Me voir et rester vivant »)[2].
D’où la nécessité de voiler la Présence de D-ieu, et de concentrer cette Présence en un endroit, en un objet, qui sera l’objet de nos dévotions.
Tant que Moïse était présent, c’était lui qui incarnait D-ieu sur terre. Tous savaient qu’il n’était pas
D-ieu et ils l’ont bien appelé Moïse l’HOMME; il était, comme un Rabbi, l’intermédiaire qui supplie D-ieu à notre place, nous qui n’en sommes pas capables; lui pouvait interroger D-ieu, nous rapporter sa réponse avec une intensité diminuée, supportable à notre niveau. Moïse absent, Moïse disparu, qu’il soit mort ou qu’il soit devenu ange, ne pouvait plus assumer cette fonction.
LA CRAINTE
Non ! dit Abraham Ibn Ezra, les enfants d’Israël n’ont pas songé que l’idôle était D-ieu, mais, dit il, il s’agissait de la « gloire (divine) qui repose dans un corps », comme, plus tard, les enfants d’Israël construiront un tabernacle au centre duquel se trouve l’Arche Sainte surplombée d’un couvercle d’où émergeaient deux chérubins.
Les chérubins ne sont pas D-ieu, mais sont l’endroit où repose Sa Gloire afin que l’homme puisse avoir la possibilité de donner une expression à ses élans d’amour pour D-ieu.
Que distingue donc le veau d’or des chérubins en or ?
Rabbi Yehouda Halevi, dans son oeuvre, le Kouzari, enseigne que la construction des chérubins a été ordonnée par D-ieu, alors que le veau a été choisi par les hommes.
La marge entre l’adoration de D-ieu et l’idolâtrie est étroite. Sans la crainte de D-ieu, on bascule d’une vraie adoration à un abaissement de D-ieu pour servir l’homme.
C’est ainsi que la construction du Tabernacle obéissait à des règles très précises. De plus, on devait craindre cet endroit. Encore aujourd’hui, nous n’avons pas le droit de pénétrer dans ce qui était autrefois l’enceinte du Temple.
Dans le Saint des Saints, là où repose l’Arche Sainte surplombée des chérubins, même le Grand Prêtre ne pouvait y pénétrer qu’une fois l’an, à l’occasion de Kippour.
Certes Aaron a suivi les enfants d’Israël dans leur désir de pouvoir suivre D-ieu qui irait devant eux. Et, une fois le veau fabriqué, il construisit un autel et dit : « Cela sera fête pour D-ieu demain »[3]. Le mot pour désigner D-ieu, dans le texte, est le tétragramme, c’est donc bien le D-ieu Unique qu’Aaron voulait servir.
Mais cette fête, à cause de cette image conçue par l’homme, ne fût en rien un événement d’élévation spirituelle. Le matin, dit le texte, « ils se levèrent pour s’amuser »[4].
L’homme qui choisit sa façon de servir D-ieu devient idolâtre.
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[1] Exode 32, 1
[2] Exode 33, 20
[3] Exode 32, 5
[4] Exode 32, 6
Emouna Halakha Rav Shaoul David Botschko Religions Tanakh