Vayétsé – La grandeur de Jacob
Rav Nahum Botschko
Jacob quitte Beershèva pour se rendre à Haran et s’arrête en un certain endroit dont le texte nous dit laconiquement qu’« il se heurta à l’endroit » (Genèse 28, 11). Nos maîtres nous enseignent que cet endroit particulier n’est autre que le mont Moriah mentionné plus tôt lors de la Ligature d’Isaac1 (la prière peut en effet être un combat…) C’est à cette occasion et en cet endroit qu’il « institua » la prière du soir, ‘arvith (Voir Rachi) Après avoir prié, Jacob se coucha pour dormir. Il rêva cette nuit- là : une échelle se dressait sur terre et sa tête atteignait au ciel. Deux questions requièrent notre attention : d’une part, quel rapport spécifique existe-t-il entre Jacob et la prière du soir en particulier ? et d’autre part, que signifie cette échelle dressée sur terre et dont la tête touche au ciel ?
Le rabbi de Slonim explique (Nétivot Chalom, Vayétzé, page 186) que la vertu spécifique de Jacob est la sainteté, qui est une dimension supérieure à celle de la pureté. La baraïta de rabbi Pinhas ben le dit clairement : « la pureté mène à la sainteté. » Se fondant sur rabbi Mochè Hayyim Luzzatto (Le sentier de rectitude, chapitre 26), le rabbi de Slonim dit : « le niveau du saint, qui élève toutes ses préoccupations matérielles à être conformes à la volonté divine, et qui devient lui-même comme un autel et un sanctuaire sur lesquels on présente des offrandes à Dieu, et dont toutes les actions matérielles sont comme des sacrifices… et cette vertu qui consiste à sanctifier tout ce qui est matériel au point que cela devienne une part de la Thora est la vertu spécifique de Jacob, et c’est à ce niveau-là que s’est située la révélation prophétique du rêve. »
Jacob a été pur et saint toute sa vie. Des termes de la bénédiction qu’il donnera à Réouven « ma force et prémices de ma vigueur » nous apprenons qu’il n’a jamais connu aucune pollution, de son plus jeune âge et jusqu’à la vieillesse. Il a engendré et élevé Isaac a en effet été attaché sur l’autel.
Cet épisode est couramment – et faussement – appelé le « sacrifice d’Isaac ». Mais comme on le sait, il n’y a pas eu de sacrifice et il ne devait pas y en avoir. Ainsi que le texte le dit clairement, il s’agissait d’une épreuve au cours de laquelle Isaac devait être « surhaussé » (NdT). Avoda Zara 20b. Il s’agit d’un texte qui énumère les étapes de l’ascension de l’homme vers la plus haute réalisation de soi (NdT).
Jacob s’y arrêta pour prier ceux qui devaient devenir les pères des douze tribus d’Israël au long de véritables travaux forcés auprès de Laban, dont l’unique objectif a été l’établissement de sa nombreuse famille, et tout cela en gardant scrupuleusement les six cent treize mitzvoth de la Thora dans l’environnement le plus grossièrement matériel imaginable. C’est parce que Jacob a mené une vie de sainteté qu’il a eu la vision de l’« échelle ». Elle représente la sanctification de la vie matérielle et son élévation à la spiritualité : dressée sur terre et tendant vers le ciel. La personnalité de Jacob est elle-aussi dressée sur terre, mais sa tête touche au ciel, en merveilleuse relation. Ce rêve s’est manifesté précisément sur le mont Moriah, sur l’emplacement du Temple, qui est le lieu de prédilection pour faire résider la Présence divine dans le monde d’en bas et qui est le lieu où merveilleusement se rejoignent le ciel et la terre.
On comprend dès lors pourquoi c’est là qu’Hachem renouvelle à Jacob le serment fait à ses pères : « la terre sur laquelle tu reposes, Je te la donnerai et à ta descendance. » En effet, c’est précisément en Eretz Israël, lieu de la Présence divine, que le lien entre le ciel et la terre se réalise dans toute sa splendeur, et c’est pourquoi elle est la terre de la prophétie où la voix divine peut devenir audible ; rabbi Juda Halévy a bien insisté dans le Kouzari sur le fait que la prophétie n’existe qu’en Israël ou en relation avec Israël.
Le rav Kook indique que la spécificité de la prière du soir tient à ce qu’elle possède une dimension prophétique « Ce qui fait la finalité de la prière du soir est qu’elle vise à ce que l’action se réalise chez les êtres d’exception qui en sont dignes en plénitude sublime, exaltée au-delà des voies de la nature. » (Eyn Aya, Bérakhot 84).
Traduit par Rav E. Simsovic