Vayetsé – Amour et concorde essentiels à Israël
Rav Shaoul David Botschko
Léa, la première femme de Jacob, enfanta quatre enfants l’un à la suite de l’autre. La Thora rapporte les circonstances qui guidèrent Léa dans son choix des noms pour ses enfants.
L’aîné se prénomma Ruben (de Raa voir) car s’exclama Léa : D ieu a vu mon humiliation, de sorte qu’à présent mon mari m’aimera[1].
Puis vint Siméon (de Chama entendre) « car D ieu a entendu que j’étais haïe »[2].
Son troisième fils se prénomma Lévi (de liva accompagner) « car désormais mon mari m’acompagnera »espéra t elle[3].
A la naissance de Juda (de Hoda remercier) elle dit « pour le coup, je remercie D ieu »[4].
A travers les noms qu’elle choisit pour ses enfants transperce sa souffrance. Pourquoi donc était-elle si malheureuse ? Pourquoi la Tora nous raconte-t-elle « les problèmes de couple » de notre patriarche Jacob ?
Certes, chacun de ses noms cache la mission particulière de chaque tribu. Par exemple pour Lévi, Rachi explique que « mon mari m’accompagnera » fait allusion au sacerdorce de la maison de Lévi qui « accompagne D-ieu ».
Mais on a également le devoir de comprendre le sens littéral du texte.
LA HAINE
Tous les enfants de Jacob naissent sous le signe de la rivalité entre les 2 femmes de Jacob:
Rachel, lorsqu’elle donnera sa servante Bilha comme femme à Jacob et que celle ci lui donnera un fils, elle le nommera Dan (de justice) « car D-ieu m’a fait justice et a écouté ma voix »[5] et surtout à la naissance de Nephtali (lutte en hébreu) elle s’écria « c’est une lutte de D-ieu que j’ai entreprise contre ma soeur et je triomphe. »[6]
La rivalité entre ces deux femmes prend son origine dans la tromperie dont a été victime Jacob. En effet, il aimait Rachel et avait travaillé sept ans pour pouvoir l’épouser; mais Laban, père de Rachel et de Léa, la nuit de noces, lui donna Léa comme épouse.
Jacob n’admit pas cette tromperie et il haït Léa qui avait accepté volontiers de jouer le jeu de son père :
Lorsque Jacob dit à Léa, « trompeuse fille de trompeur, toute la nuit tu m’as fait croire que tu étais Rachel et maintenant voici que tu es Léa ! », elle lui répondit : « ton père ne t’avait il pas demandé : Es tu mon fils Esaü ? N’avais tu pas répondu, je le suis ? ». Il lui tient rigueur pour ses propos et l’a haïe[7].
Jacob subit ici une grande épreuve: Il devra aimer celle qui l’a trompée, accepter comme légitime, celle qui a supplanté la femme qu’il avait choisie, c’est à dire la femme avec laquelle son âme reconnaissait qu’il était destiné à s’unir avec elle.
LE SENS D’UNE VIE
Jacob travailla sept ans pour Rachel. Lorsqu’au bout de ce lent labeur, il demanda sa main, il s’exprima de manière curieuse :
Jacob dit à Laban « Donne moi ma femme, car mon temps est accompli et que je m' »unisse » à elle ![8] »
Rachi s’interroge :
Même le dernier des derniers ne s’exprime pas ainsi[9] !
et il répond :
Jacob avait quatrevingt quatre ans et il se disait quand mettrai je donc au monde les 12 tribus; c’est donc pour exprimer son désir d’avoir des enfants qu’il a parlé ainsi.
La mission de Jacob n’est pas personnelle; lui, il doit créer le peuple; pour atteindre ce but il y a un préalable, c’est devenir le père d’une grande famille.
Jacob désirait construire cette famille avec Rachel seule. Par elle, il espérait transformer cette famille en un peuple saint. Rachel, en effet, avait toutes les qualités, tant morales que matérielles. Quel bon et beau peuple pouvait naître de cette union !
Mais rien n’est jamais simple pour les grands hommes. La famille que Jacob devait créer devait avoir en germe des valeurs très différentes qui réunies toutes ensemble, forment une nation. Cette diversité ne pouvait jaillir de Rachel seule :
« La volonté de D ieu était que les 12 tribus soient construites par Léa, Rachel, Bilha et Zilpa. Mais l’homme maintient son libre arbitre et D ieu ne modifie pas sa volonté, mais Il organise les événements de telle sorte que l’homme soit obligé à agir contrairement à sa volonté afin que se réalisent le plan et la volonté de D ieu.
Et lorsque D ieu constata que l’amour de Jacob pour Rachel grandissait sans cesse et qu’il repoussait Léa, il craignit que Jacob ne voulût donner naissance à ses 12 enfants qu’avec Rachel.
D ieu ne modifia point les sentiments de Jacob pour Léa, mais Il rendit Rachel stérile et lorsque Jacob vit que Rachel n’enfantait pas, il dut s’attacher à Léa; puis lorsque celle ci cessa d’enfanter, aux servantes, et lorsqu’il eut mis au monde 10 fils, vint le tour de Rachel qui enfanta enfin »[10].
La diversité, avant d’être source de complémentarité, est à l’origine de conflits; ce n’est qu’après d’âpres luttes qu’Israël atteindra son but ultime : unifier ses forces centrifuges.
Jacob, le père de ce peuple a expérimenté, d’abord dans sa vie de couple, puis dans celle de sa famille le défi de l’unification.
Il a dû lui même apprendre à aimer celle qu’il haïssait, comme ses enfants fils de Léa devront finalement s’entendre avec Joseph fils de Rachel.
Jacob réussit cette aventure extraordinaire. En effet, les noms que Léa donne à ses enfants sont d’abord l’expression d’un désespoir, Ruben et Simon, puis d’un espoir, Levi, pour se transformer en louanges, Juda.
L’AFFECTION RETROUVEE
Les deux femmes aussi font des pas l’une vers l’autre :
Reouven apportera un présent à sa mère, des fleurs. Rachel, toujours stérile, convoite ces fleurs, symbole de l’amour de l’enfant qu’elle rève. Léa va les lui donner en échange d’une nuit avec Jacob. De l’union de cette nuit, naîtra Issachar. Ce nom signifie récompense. En effet, à sa naissance, Léa exprima l’idée qu’elle a été récompensée d’avoir renoncé aux fleurs de son fils
Quelque chose d’essentiel avait changé dans la maison de Jacob.
Finalement, c’est Léa qui sera enterrée avec Jacob dans le caveau de Ma’hpéla, témoignage de la réussite de Jacob à accepter dans son être profond la légitimité de Léa.
HEROISME
Modifier des sentiments violents suppose un courage extraordinaire. Pour les Avot de Rabbi Nathan, c’est là le sommet de l’héroïsme.
« Qui est un héros ? Celui qui domine ses instincts.
Qui est un héros parmi les héros ? Celui qui transforme son ennemi en ami[11] ».
Jacob a été plus fort encore, il a transformé la haine qui l’habitait en amour.
Jacob lui même avait été victime de la haine. N’est ce pas qu’il s’était enfui chez Laban pour échapper à son frère qui voulait l’assassiner ?
Après toutes ses péripéties, Jacob va réussir à transformer Esaü lui même : lorsque Jacob rentre en Israël, son frère Esaü vient à sa rencontre dans le but de l’assassiner. Il repartira après l’avoir embrassé et en lui laissant le champ libre en Israël. Il s’exila lui même à Séïr.
C’est une grande leçon que nous donne la Thora ici. Pour être accepté, respecté et pourquoi pas aimé par nos ennemis, il y a un préalable : il faut qu’au sein de la grande famille d’Israël règne l’amour et la concorde.
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[1] Genèse 29, 32
[2] Genèse 29, 33
[3] Genèse 29, 34
[4] Genèse 29, 35
[5] Genèse 30, 6
[6] Genèse 30, 8
[7] Midrash Cho’har Tov
[8] Genèse 29, 21
[9] Rachi sur Genèse 29, 21
[10] Commentaire apporté dans le Houmash Rav Peninime sans citation d’auteur
[11] Avot de Rabbi Nathan 23, 1