Vayera – Les retrouvailles
Rav Shaoul David Botschko
La Paracha de Vayéra fait l’objet d’un terrible paradoxe. Le récit de la Thora s’ouvre sur Abraham, homme charitable entre tous, qui reçoit trois étrangers comme des princes. Puis voici qu’il implore D-ieu afin qu’il épargne les villes de Sodome et Gomorrhe de la destruction. Abraham contracte ensuite une alliance avec Abimeleh’, l’un de ses puissants voisins. Puis soudainement, cet homme de paix, cet homme de charité, accepte sans broncher l’ordre de D-ieu de Lui donner son fils comme holocauste. Comment D-ieu a-t-Il pu demander à l’homme charitable entre tous d’accomplir cet acte si terrible?
Au cours d’un long dialogue avec D-ieu, Abraham a tenté de convaincre le Tout-Puissant d’épargner les villes de Sodome et Gomorrhe. Le récit se termine laconiquement: « Après que D-ieu eut fini de parler avec Abraham, Abraham retourna à sa place. » Nos commentateurs ont perçu dans ce verset un constat d’échec. Après que D-ieu lui fût apparu, Abraham se trouvait à la même place qu’auparavant. Le Zohar Hakadoche, dans un commentaire célèbre, explique cela comme l’échec qui a été celui d’Abraham de convaincre.
D-ieu. En effet, Abraham ne s’est pas engagé comme Moïse, dit le Zohar, qui avait dit à D-ieu: « Efface-moi de Ton livre que Tu as écrit, si Tu ne pardonnes pas aux enfants d’Israël. »
Personnellement, j’ai ressenti l’échec à un autre niveau. Dans un préambule précédent l’annonce de D-ieu à Abraham qu’Il va détruire Sodome, D-ieu Se dit: « Comment pourrai-je cacher à Abraham ce que je vais faire? » Quelle obligation D-ieu a-t-Il de Se confier à Abraham? Aussi la Thora explique-t-elle: « N’est-ce pas Abraham que j’ai choisi pour qu’il apprenne à ses enfants et à sa descendance, après lui, à pratiquer la justice et la droiture? » La Thora nous explique donc que D-ieu a donné un enseignement à Abraham: « Sache », dit D-ieu, « que tout compromis avec le mal est une compromission ». Les villes qui se conduisent comme Sodome et Gomorrhe doivent être détruites. Et Abraham le charitable ne comprend pas. Il implore D-ieu pour qu’Il épargne ces villes, car il est touché au plus profond de son être par la destruction qui s’annonce. Aussi utilise-t-il tous les moyens à sa disposition pour tenter d’arrêter la décision définitive de D-ieu.
Après que D-ieu lui eut parlé, Abraham était resté le même Abraham. Il était aussi charitable qu’il l’avait été avant. Il n’avait pas vraiment compris la leçon que D-ieu voulait lui donner. Le même problème, bien que de manière différente, va se poser à nouveau; à deux occasions, Abraham devra choisir entre son amour du prochain et l’exercice de la justice et de la morale.
Sara, qui voit Ismaël se conduire de la manière la plus ignoble (comme nous l’enseigne Rachi), demande à Abraham de le chasser de sa maison. La chose déplut fort à Abraham, nous dit la Thora, et il ne s’exécutera que lorsque D-ieu lui imposera d’écouter la voix de sa femme.
Puis vient la fameuse histoire dans laquelle Abraham passe dans la ville d’Abimeleh’ où est obligé, à cause de l’immoralité des habitants de cette ville, de déclarer que sa femme est sa soeur. Et puis, après que D-ieu l’eut sauvé miraculeusement, il continue d’habiter près d’Abimeleh’ car, comme nous dit la Thora: « Il conclut une alliance avec lui. » Et le texte qui précède immédiatement la Akeda nous dit qu’Abraham proclama le nom de D-ieu: « El Olam » , « D-ieu de l’univers ». C’est qu’Abraham n’avait pas encore compris que, si D-ieu l’avait choisi, c’était pour qu’il enseigne à ses enfants la justice, c’était pour qu’il instaure une Histoire nouvelle au-delà de l’Histoire qui lui était contemporaine. A partir d’Abraham, D-ieu ne serait plus seulement le D-ieu du monde, mais le D-ieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Et les enfants d’Israël, lorsqu’ils parleront avec D-ieu, diront alors notre D-ieu, le D-ieu d’Israël, le D-ieu de nos pères.
Abraham n’a donc pas encore compris que le monde a démérité de D-ieu, et que D-ieu veut maintenant attacher Son nom à un peuple nouveau. Une révolution est en train de s’opérer dans l’Histoire. Cette révolution veut qu’Abraham enseigne à ses enfants la justice et la morale. Cette révolution veut que l’on cesse d’être pardonné au nom de la miséricorde divine, que l’on cesse de pactiser avec les forces du mal, qui dominent le monde à cette époque. Le temps est venu de créer un peuple nouveau.
C’est pourquoi D-ieu dit à Abraham: « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, et élève-le en holocauste. J’insiste donc tant pour être ton D-ieu, et le D-ieu de ton fils, et tu refuses au nom de l’universalité. Déjà alors que je t’ai annoncé que ta femme allait avoir un enfant, tu as dit: « Puisse Ismaël vivre devant Toi », et maintenant encore tu ne veux voir en moi que le D-ieu de l’Univers, et toi, tu veux t’inscrire comme un être humain dans l’univers, et non comme un père dans l’Histoire. Si c’est comme cela, prends ton fils et donne-le en offrande sur l’autel de l’universalité. »
La Akeda constitue l’un des plus grands moments de l’histoire d’Abraham. D-ieu lui demande d’accepter la plus dure de ses épreuves. Je crois que cette épreuve était destinée à créer entre Abraham et Isaac des liens privilégiés. D-ieu veut faire découvrir à Abraham qui est Isaac. Au début de ce passage, Rachi pose la question: « Pourquoi D-ieu dit-Il: « ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac »? Le Midrache répond qu’Abraham n’a pas compris tout de suite lorsque D-ieu lui a dit « ton fils », il a dit « J’en ai deux », lorsque D-ieu lui a dit « ton unique », il a dit « Chacun est unique à sa mère », et lorsque D-ieu dit « celui que tu aimes », il répond « J’aime tous les deux ». Alors D-ieu lui crie: « Isaac » pour enseigner à Abraham: « C’est Isaac que tu dois aimer, c’est Isaac qui est ton unique, c’est Isaac qui est ton fils. Va, élève-le en holocauste ! »
C’est alors qu’Abraham comprend quelle sera sa tâche: « il prit avec Isaac son fils deux jeunes gens ». Ces deux jeunes gens étaient, selon Rachi, d’après Béréchith Raba, Ismaël et Eliezer. Le Midrache nous raconte ensuite que, lorsqu’Abraham s’approche de l’endroit indiqué par D-ieu, il voit dans son âme d’homme sacré qui s’approche de la montagne sainte, de la montagne de Sion, il voit, attachée à la montagne, la Présence divine. Et il demande aux deux jeunes gens, Ismaël et Eliezer: « Que voyez-vous? », et ils répondent: « Nous voyons la montagne. » Puis, Abraham demande à Isaac: « Que vois-tu mon fils? » Et Isaac répond: « Je vois la montagne de D-ieu. »
Abraham comprend enfin totalement, et il dit à ces deux jeunes gens: « Restez ici avec l’âne, et moi et Isaac, nous allons aller là-bas. »
C’est alors qu’Abraham chemine seul avec Isaac. A deux reprises, la Thora nous dit qu’ils allèrent ensemble, unis dans la même idée de servir D-ieu. Abraham se retrouve donc enfin seul avec son fils Isaac pour accomplir la volonté de D-ieu. L’holocauste n’est alors plus nécessaire, et un ange dit à Abraham: « Abraham Abraham ne touche pas à ton fils Isaac ! »
Emouna Histoire Juive Justice Prières Rav Shaoul David Botschko Tanakh