Toledot – Juste fils de juste, juste fils de méchant
Rav Nahum Botschko
Le Talmud traite à la page 7a du traité de Bérakhot du délicat problème du « juste souffrant » ; elle explique :
« Un juste heureux est un juste fils de juste. Un juste malheureux est un juste fils d’un méchant »
Et la guémara s’étonne : est-ce possible ? La Thora nous a pourtant affirmé que « les fils ne mourront pas pour les [fautes des] pères[1] », ce qui sert de fondement à la règle selon laquelle chaque homme porte la responsabilité de ses propres fautes et en supporte seul le châtiment. La guémara « corrige » donc sa première réponse disant :
« Un juste heureux est un juste accompli. Un juste malheureux est un juste qui n’est pas accompli. »
Le rav Kook explique (Ein Aya s/Bérakhot, I, 73) que la guémara n’a pas renoncé à la première explication et que les deux sont vraies. Un juste fils de juste est un juste accompli et un juste fils de méchant est un juste non accompli. La raison en est, explique le rav Kook, que les actes des hommes se répartissent en deux catégories, ceux qui lui sont dictés par l’éducation qu’il a reçue de ses parents et ceux qui lui viennent des valeurs acquises au cours de sa vie. C’est pourquoi le juste fils de juste est un juste accompli et il est heureux, parce que sa conduite est naturellement bonne et qu’il ne lui est pas nécessaire de travailler péniblement à l’amendement de ses vertus.
Par contre, le juste fils de méchant est un juste non accompli parce qu’il n’a pas puisé dans son enfance aux mêmes valeurs et il doit donc batailler durement, affrontant d’incessantes crises de conscience et c’est pourquoi il est « malheureux » et qu’il n’atteint généralement pas au plus haut niveau. Par exemple, pour celui qui a grandi dans un foyer respectueux du chabbat, les observances chabbatiques vont de soi ; celui qui n’a pas connu cela dans son enfance sait parfaitement quelles luttes il faut mener pour s’y accoutumer, combien il en coûte de renoncements et de peines jusqu’à ce que cela devienne comme une seconde nature.
La paracha de Toledot apporte un autre exemple encore à l’appui de la supériorité du juste fils de juste sur le juste fils de méchant. La paracha raconte qu’Isaac a prié pour Rivqa car elle était stérile et qu’il a été exaucé. Les Sages remarquent (Yébamoth 64, cité par Rachi) que la forme utilisée par le verset pour dire « pour Rivqa » peut laisser entendre qu’ils ont prié tous deux en présence l’un de l’autre et que c’est la prière d’Isaac qui a été exaucée, le verset précisant : « Dieu l’a exaucé lui, et Rivqa a conçu. » Pourquoi lui plutôt qu’elle ? Parce que le juste fils de juste (Isaac) n’est pas semblable au juste fils de méchant (Rivqa) ! La prière d’Isaac a été plus efficace que celle de Rivqa.
Mais en vérité, les choses ne sont pas aussi simples.
Le principe qui apparaît là semble contredire celui qui affirme que le baal téchouva, le repenti, s’élève à un niveau supérieur à celui du juste accompli ! « Là où se tiennent les repentis, les justes accomplis ne s’y tiennent pas » dit la guémara (Bérakhot 34b). Les efforts des repentis pour atteindre à ce niveau valent davantage que les mérites des justes que leur éducation y a menés, et la rétribution est à la mesure de l’effort. C’est donc la prière de Rivqa qui aurait dû être exaucée et non celle d’Isaac.
On pourrait dire – explication proposée par mon vénéré père – que la prière d’Isaac et de Rivqa était spéciale. S’il s’était agi de la prière éperdue de parents en manque d’un enfant, comme tout couple ayant espéré en vain de longues années, alors effectivement la prière de Rivqa eut été supérieure à celle d’Isaac. Mais la prière d’Isaac et de Rivqa était d’une tout autre nature. Il ne s’agissait pas de résoudre un problème privé, de répondre à un manque banal – aussi poignant soit-il. Il s’agissait d’une prière destinée à assurer un avenir à l’aventure d’Abraham. Il fallait que la lignée continue.
Il fallait que le peuple du Dieu d’Abraham voit le jour, pour que s’accomplisse ce que Dieu attend de lui et de sa descendance, qu’ils gardent la voie de Dieu pour réaliser la justice et le droit. Or Dieu lui a annoncé : c’est en Isaac que sera nommée ta descendance. Isaac et Rivqa prient pour la descendance annoncée afin qu’ils puissent donner corps à la vision d’Abraham et la transmettre aux générations à venir. Isaac, à la différence de Rivqa, peut se prévaloir du mérite de ses pères, et sa prière est chargée – parce qu’il l’a vécu toute sa vie – du contenu concret de ce que signifie « être Abraham », « être fils d’Abraham », vouloir une descendance pour Abraham. C’est cela qui lui donne son efficacité, et c’est pour cela que c’est la prière d’Isaac que Dieu peut exaucer.
Traduit par Rav E. Simsovic
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[1] Deutéronome 24, 16.