« Qui fait sortir le pain de la terre » et la sortie d’Égypte
Rav Nahum Botshko
Le Talmud (Bérakhot 38a) rapporte une controverse entre rabbi Néhémia et les Sages à propos de la bénédiction qu’il convient de faire avant de manger du pain :
« Nos maîtres ont enseigné : que dit-il ? “celui qui fait sortir (ha-motzi) le pain (hors) de la terre”. Rabbi Néhémia dit : “qui fait sortir” (motzi) »
La controverse ne porte donc que sur le fait que les Sages demandent de préfixer l’acte de faire sortir le pain par l’article défini (ici rendu par « celui ») alors que rabbi Néhémia demande de ne pas le faire.
Rava affirme que tous sont d’accord pour dire que le substantif motzi, « qui fait sortir » doit être entendu au passé (« qui a fait sortir »), puisqu’il est écrit (Nombres XXIII, 22) : « Dieu les fait sortir d’Égypte. » Or, ce verset fut énoncé longtemps après l’événement de la sortie d’Égypte et il faut donc l’entendre comme se référant au passé. La discussion porte donc sur le sens du substantif hébreu motzi lorsqu’il est précédé de l’article défini, hamotzi ; cette expression renvoie-t-elle au passé ou au contraire au futur ?
Les Sages disent qu’elle renvoie au passé en la rattachant au verset (Deutéronome VIII, 15) : « qui a fait sortir (hamotzi) pour toi de l’eau de la pierre du rocher. » Hamotzi signifie donc « qui a déjà fait sortir ». Rabbi Néhémia considère que cette expression renverrait plutôt au futur, puisqu’il est écrit dans la paracha de Vaéra – la paracha de cette semaine – « qui vous fait sortir (hamotzi) de dessous les charges de l’Égypte » (Chémoth VI, 7) alors que les Hébreux sont encore asservis, ce qui implique donc que le verset parle au futur, énonçant la promesse divine de mettre fin à la servitude et à l’oppression. Les Sages, quant à eux, comprennent que le Saint béni soit-il dit à Israël : « lorsque vous sortirez, Je vous donnerai un signe par lequel vous saurez que c’est Moi qui vous ai fait sortir (au passé) du pays d’Égypte. »
Nous savons par tradition que lorsque les Sages discutent en se fondant apparemment seulement sur des arguments « linguistiques », ils visent en réalité des notions bien plus profondes, dont ces nuances de langage ne sont que les indices qui affleurent à la surface du texte. Que cherchent-ils donc à nous apprendre ? Et surtout, quel est le rapport entre la bénédiction sur le pain et la sortie d’Égypte ?
Le pain est considéré comme l’essentiel de la nourriture de l’homme. Bien qu’il ne sorte pas tel quel de la terre, et que l’homme doive œuvrer avant de pouvoir en consommer, les Sages ont institué dans la bénédiction qu’il faut dire que Dieu « fait sortir le pain de la terre ». Nous sommes ainsi amenés à garder présent à la conscience que les forces considérables dont l’homme dispose lui viennent du Maître des mondes, et que c’est Lui qui nous confère la puissance de réaliser des prouesses.
La controverse entre rabbi Néhémia et les Sages met en évidence la possibilité de se référer à la sortie d’Égypte comme à un événement du passé et celle de s’y référer comme à un avènement ultérieur encore à venir. La sortie d’Égypte – et d’une façon générale la libération d’Israël du joug et de l’oppression des Nations – est un processus de longue durée qui progresse tout au long de l’histoire. Il a commencé dans le passé et il se poursuit et son aboutissement ultime est encore à venir. Aujourd’hui aussi, alors que nous avons le bonheur d’appartenir aux générations de la Délivrance, nous ne sommes pas encore parvenus à la Délivrance plénière et absolue, il reste encore bien des efforts à faire pour nous libérer de toutes les inféodations et de tous les conditionnements et de toutes les aliénations.
Nous mangeons le pain, et bien que nous investissions bien des efforts pour transformer les grains de blé que nous devrons semer (il faudra avoir d’abord préparé le terrain, avoir creusé le sillon…) puis il faudra faucher le blé, le battre pour séparer le grain de la paille et de la balle, le moudre, pétrir la farine… – malgré toute cette activité de longue haleine, nous rappelons chaque fois que nous mangeons du pain que Celui qui fait sortir le pain de la terre, c’est le Saint béni soit-il. C’est Lui qui est à l’origine de notre pouvoir d’agir pour assurer notre subsistance. De même pour la Délivrance. L’essentiel de la sortie d’Égypte s’est fait par intervention divine. Nous devons réaliser, aujourd’hui encore, que bien que nous soyons des associés actifs dans le processus de la Délivrance, par la création de l’État d’Israël, la consolidation de nos forces de Défense et les guerres victorieuses que nous avons menées, c’est néanmoins le Maître des mondes qui est à l’origine de tous ces miracles.
Chabbat Chalom.
Traduit par Rav E. Simsovic
Paracha Rav Nahum Botschko Vaéra