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Nitsavim – la Techouva collective

Nitsavim – la Techouva collective

Rav Nahum Botschko
La Thora consacre une partie importante de notre paracha à la téchouva (Deutéronome XXX, 2-51) :
« … que tu retournes à Hachem, ton Dieu, et que tu obéisses à sa voix en tout ce que je te recommande aujourd’hui… de tout cœur et de toute ton âme, Hachem, ton Dieu, te prenant en pitié, mettra un terme à ton exil, et Il te rassemblera du sein des peuples parmi lesquels Il t’aura dispersé. Tes proscrits, fussent-ils à l’extrémité des cieux, Hachem, ton Dieu, te rappellerait de là, et là même Il irait te reprendre. Et Il te ramènera, Hachem, ton Dieu, dans le pays qu’auront possédé tes pères, et tu le posséderas à ton tour; et Il te rendra florissant et nombreux, plus que tes pères.
Cette traduction, exacte quant au sens général, et soucieuse d’une formulation stylistiquement agréable à l’oreille française, illustre néanmoins les limites d’une telle approche : les questions que pose le texte hébreu original y sont incompréhensibles. En effet, le « retour » d’Israël à son Dieu y apparaît clairement ; mais la suite du texte français fait disparaître le « retour » d’Hachem Lui-même : « Hachem, ton Dieu, te prenant en pitié, mettra un terme à ton exil » est censé traduire un verset qui dit littéralement « Et Hachem, ton Dieu, te ramènera… » Mais le verbe hébreu « te ramènera » signifie littéralement « reviendra ». C’est dire que le texte nous fait savoir qu’en conséquence du retour d’Israël à Dieu, interviendra en quelque sorte un retour de Dieu qui, ramenant Israël de son exil, reviendra avec lui.
Une autre question se pose encore : au verset 2, le retour d’Israël est décrit comme un mouvement mettant en jeu tout l’être : « de tout ton cœur et de toute ton âme. » Il s’agit donc d’un retour entier ! et pourtant, quelques versets plus loin (v. 6) le texte semble dire qu’il y manquait néanmoins quelque chose encore : « et Hachem ton Dieu circoncira ton cœur et le cœur de ta postérité… » N’avaient-ils donc pas fait téchouva ?
Le rav Yéhouda Alqalaï2 a bien renouvelé l’explication3 de ces versets. Il montre que la Thora ne parle pas ici du repentir individuel de chacun par rapport à ses fautes, mais du mouvement collectif du retour du peuple tout entier à son Dieu ; la première étape de ce retour est le retour d’Israël à sa terre. Donnons-lui la parole :
« Sache bien que le sens premier du mot téchouva désigne le fait de retourner à l’endroit d’où on était parti, comme dans le verset (I Samuel VII, 17) : « puis il revenait à Rama, car là était sa maison. » Nos maîtres appliquent métaphoriquement ce terme à celui qui, faisant repentir de sa faute, revient à son intégrité première… Et le sens premier du retour collectif consiste pour nous à retourner au pays dont nous sommes partis, car c’est notre demeure de vie. »
Dans la Bible, le terme de téchouva désigne donc le mouvement concret par lequel on revient physiquement au lieu dont on était parti. C’est en un sens métaphorique que les Sages ont appliqué ce terme au mouvement moral et spirituel par lequel celui qui a fauté revient à son authenticité initiale. Mais il est bien évident que ce n’est pas en ce sens que le verset parle ici du retour d’Israël à son Dieu.
Reprenons donc ces versets pour en donner la lecture exacte du point de vue du sens littéral :
« tu retourneras à Hachem, ton Dieu » : le désir s’éveillera en toi de retourner au pays d’Israël qui est le domaine d’Hachem. « selon tout ce que je t’ordonne aujourd’hui » : de retourner réellement en Israël, « toi et tes fils de tout ton cœur et de toute ton âme ». Alors, lorsque tu auras entrepris de revenir de ta propre initiative (ce que les Sages appellent « l’éveil d’en bas »), en contrepartie « Hachem ton Dieu ramènera ton retour et te sera miséricordieux, et Il reviendra et te rassemblera d’entre tous les peuples où Hachem ton Dieu t’avait dispersé », c’est-à-dire qu’Il soutiendra le retour du peuple d’Israël à Sion. Lorsque cette étape du retour collectif aura été accomplie, viendra celle de l’abandon de la faute et de l’amour d’Hachem : « et Hachem circoncira ton cœur… pour aimer Hachem ton Dieu. » Enfin, viendra l’étape d’une pratique renouvelée des commandements de la Thora : « quant à toi, tu reviendras et tu entendras la voix d’Hachem et tu réaliseras toutes Ses mitzvoth que je t’ordonne aujourd’hui. »
Le rav Alqalaï distingue entre téchouva individuelle et téchouva collective :
« La téchouva individuelle, celle qui conduit le fauteur à faire retour de sa faute, conformément aux règles fixées par les Anciens, telles qu’elles ont été formulées dans l’ouvrage du Roqéah4, dans le Réchith Hokhma5, dans les Devoirs des cœurs6 et d’autres semblables. Cette forme de téchouva a précédé le monde… Elle est appelée téchouva individuelle – ou privée – parce qu’elle concerne personnellement tout un chacun en fonction de la faute qu’il a commise. Le poids de sa téchouva est à l’harmonique de la gravité de sa faute.
Mais la téchouva collective, à savoir que tout Israël revienne à Hachem notre Dieu, à la terre patrimoine de nos pères, car celui qui fixe sa résidence en dehors du pays est comme athée, et Israël hors de son pays est idolâtre en toute pureté, comme il est écrit : « et vous y servirez des dieux œuvres de mains d’homme, en bois et en pierre » puisque, explique Rachi, vous êtes soumis au service de ceux qui les servent, c’est comme si vous les serviez vous-mêmes. »
Nous avons le mérite de vivre en un temps où ses versets du retour d’Israël se réalisent sous nos yeux et nous voyons comment Israël retrouve le sol de sa patrie. Prions et agissons pour le retour de tout le peuple d’Israël à sa terre ; renforçons-nous aussi à la rencontre des étapes à venir : l’amour d’Hachem et la préservation des mitzvoth, le travail de chacun de nous sur lui-même pour réduire ses défauts et épanouir ses qualités.
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1 Dans cette traduction issue de la Bible du rabbinat français, nous remplaçons l’expression conventionnelle « l’Éternel » par Hachem, « Le Nom », qui est la manière traditionnelle d’exprimer le Tétragramme quand on ne le prononce pas dans sa forme liturgique. (Cette note et toutes celle qui suivent sont du traducteur.)
2 Rabbin séfarade de Serbie, 1798-1878, célèbre précurseur du sionisme. Né à Sarajevo en Bosnie, il monte en Israël à l’âge de onze ans. Il y reçoit très jeune l’ordination rabbinique et, à l’âge de vingt-huit ans, il est envoyé en Serbie où il servira dans la ville de Zemlin. Il voyagera en France, en Angleterre et en Allemagne pour propager l’idée du retour à Sion, publiant plusieurs livres dans cet esprit. Il retourne en Eretz Israël en 1874 et s’établit d’abord à Jaffa oui à Jérusalem où il s’éteint en 1878. Signalons que le grand-père de Théodore Herzl était préposé à la sonnerie du Chofar dans la synagogue du rav Alqalaï, un des exemples de la manière dont la « petite histoire » rejoint la « grande ».
3 Cf. son article « Une ouverture comme le chas d’une aiguille ».
4 Rabbi Eleazar de Worms, 1165-1240, l’un des grands maîtres du piétisme achqénaze médiéval, auteur du Séfer HaRoqéah, l’un des livres classiques de ce mouvement. Il eut beaucoup à souffrir des violences qui frappaient régulièrement les Juifs et sa femme et ses trois filles y perdirent la vie. Il décrit aussi dans ses ouvrages les exactions commises par les Croisés contre les communautés juives qu’ils détruisaient sur leur passage.
5 Ouvrage qabbaliste et moraliste rédigé au 16ème siècle sous l’inspiration de rabbi Mochè Cordovéro par l’un de ses disciples, rabbi Elie de Vidas.
6 Ouvrage de haute philosophie morale écrit en arabe en 1080 par rabbi Bahya Ibn Paqûda de Saragosse. La version classique traditionnelle est le fruit de la traduction en hébreu effectuée par rabbi Yéhouda Ibn Tibbon. Le Gaon de Vilna préconisait de lire le livre du Kouzari de rabbi Yéhouda Halévi à la place du premier portique. Le livre a été traduit en français par André Chouraki. Réédition Bibliophane, 2002.

 

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