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Nasso – Du plaisir au bonheur

Nasso – Du plaisir au bonheur

Rav Shaoul David Botschko
« Qui est appelé un héros ? Celui qui vainc son penchant »[1].
Par ces mots, cette Michna de Pirké Avot définit la substance de l’homme. Si toutes les créatures sont ce que sont leurs instincts, l’homme a la capacité d’être autre que ce que la nature a fait de lui. Il peut par son courage et sa volonté dominer sa propre nature. Lorsque la Thora raconte la déchéance d’Eve, elle insiste sur le fait qu’elle s’est laissée emportée par ses sens; elle n’était plus Eve, elle n’était que ce que ses sens lui dictaient : « Elle vit le fruit et voici qu’il était désirable pour les yeux, qu’il était passion pour le palais, que même pour l’intelligence, il était enviable ». Elle n’avait d’yeux que pour ce fruit défendu et rien ne pouvait l’arrêter tant qu’elle n’en eut pas goûté. Après l’avoir mangé, quelle désillusion ! Elle s’est sentie dépouillée de tout; elle et Adam avaient honte d’eux mêmes, essayaient désespérément de se cacher de D ieu; et c’est peut être ce dégoût de soi qui est la mort que D ieu leur avait annoncée s’ils désobéissaient.
Aussi, l’on comprend que dans notre Paracha, la Thora nous parle du naziréen, celui qui fait voeu de s’abstenir de boire du vin, qui s’engage en plus à ne pas toucher à sa chevelure, renonçant ainsi à un des désirs de l’homme : soigner son apparence. Pour tous, il faut, mais cela suffit, manger Casher; le naziréen, lui, va plus loin, va plus haut et est appelé « saint il sera »[2] :
Rabbi Eleazar dit : « Tout celui qui jeûne est appelé saint, car il est dit saint il sera » et si déjà celui qui s’interdit une chose est appelé saint », à plus forte raison celui qui s’interdit tout »[3].
Le désir est ce qui pervertit; c’est pourquoi, dans notre Paracha, « la Thora raconte les lois de la femme infidèle avant les lois du naziréen pour nous enseigner que celui qui perçoit cette perversion doit s’abstenir de boire du vin »[4]. L’antidote au feu de la passion qui dévore l’homme est justement l’abstinence.
Rabbi Eléazar de Kapar dit : « La Thora dit à propos du naziréen (qui doit apporter un sacrifice) « D ieu lui pardonnera pour avoir fauté contre la vie », mais à la vie de qui le naziréen a t il porté atteinte ? C’est contre sa propre vie qu’il a fauté. Et si déjà celui qui ne s’est interdit que du vin est appelé pécheur, celui qui s’interdit tout, à plus forte raison de cela on apprend que tout celui qui endure des jeûnes est appelé « pêcheur »[5].
Rabbi Eléazar et Rabbi Eléazar de Kapar ont ils deux conceptions complètement opposées du judaïsme ? Pour l’un l’idéal serait l’abstinence, pour l’autre la jouissance.
DEGRES DE SAINTETE
Non, la Guemara rapporte que Rabbi Eléazar lui même dans un autre texte interdisait de jeûner. Et la Guemara de répondre qu’il existe deux types d’homme, celui qui supporte le jeûne et celui qui ne le supporte pas. L’idéal de l’homme est de s’élever au dessus de la condition humaine si… on le supporte; sinon, il faut se contenter des 613 commandements de la Thora.
C’est dans ce sens que mon père, le Rav Moshé Botschko, explique le verset d’où l’on a appris que s’abstenir du vin était une faute. Ce verset a été dit à propos de celui qui a interrompu son voeu de nazirat avant qu’il ne soit achevé, démontrant ainsi qu’il n’était pas au niveau de s’ajouter des interdits à ceux prévus par la Thora, l’échec de son engagement le remettant à sa place.
LE MONDE AUQUEL RIEN NE MANQUE
Pourtant une lecture attentive des propos de Rabbi Eléazar : « Tout celui qui endure des jeûnes est appelé pêcheur » suggère qu’il condamne de manière générale l’abstinence. Quelle est donc sa conception du plaisir ? Serait-ce de l’élever au niveau de la finalité de l’existence ?
Ce n’est pas possible. Le prophète Isaïe déjà, condamne sévèrement ceux qu’on pourrait appeler des épicuriens qui disent : « Mangeons et buvons car demain nous mourrons »[6]. « C’est une faute impardonnable » dit-il[7] .
Quel est alors l’idéal pour Rabbi Eleazar de Kapar ?
Au printemps, nous avons l’obligation de remercier D ieu « pour les beaux arbres et les bons fruits qu’il a créés, pour ce monde auquel rien ne manque afin que l’homme en jouisse ». (Rituel)
La possibilité de jouir est un cadeau de l’Eternel.
Refuser le plaisir est un pouvoir de l’homme.
L’homme est corps, mais aussi esprit; il se distingue de toutes les créatures par son appartenance à deux mondes, celui d’en haut et celui d’en bas; n’appartenir qu’à celui d’en bas, c’est se transformer en bête; ce refus de spiritualité plus que le refus des plaisirs est porteur de mélancolie; elle vide la vie de sens, la tête de valeur, l’homme de son identité. La couronne du juif est dans sa capacité, son désir, sa passion pour la Thora; empêcher l’homme de s’élever, c’est le mutiler gravement, aucun espoir alors qu’il arrive au bonheur et à la plénitude.
Mais ses pieds sont sur la terre, et son désir de plaisir est puissant également.
La grandeur du juif, enseigne Rabbi Eleazar de Kapar, est dans la conscience que le plaisir est un cadeau de D ieu. C’est D ieu qui l’a créé et ses joies, c’est de Lui qu’elles viennent. Dans cette conscience, jouir n’est plus refuser la spiritualité. Bien au contraire, l’homme devient alors capable de saisir D ieu à travers Ses bienfaits les plus matériels. Le monde des Mitsvot est pour Rabbi Eléazar de Kapar cette aventure extraordinaire qui donne une valeur à toutes choses, même les plus matérielles, unifiant ainsi le cadeau de D ieu à l’effort de l’homme.
Les lendemains de ceux qui s’adonnent aux plaisirs bruts sont désenchanteurs, un grand vide emplit leur âme; et ils risquent une course effrénée vers d’autres plaisirs toujours aussi passagers, dont les lendemains seront toujours aussi décevants, à l’image de notre société en crise, à laquelle l’abondance de matérialité n’a pas apporté l’équilibre.
« Celui qui perçoit la femme Sota dans sa déchéance, qu’il s’abstienne de vin ». (Rachi) Si l’homme perçoit en lui qu’il n’est pas capable de jouir et de servir D ieu simultanément, à l’instar de la femme infidéle dont le péché est justement que le droit au plaisir est devenu l’ossature de son existence; à la vue de cette déchéance et de sa propre déchéance possible, il doit apprendre à se maîtriser et à faire voeu de nazirat.
Mais à la fin de cette période, il apportera trois sacrifices : une Ola, holocauste, un ‘Hatat, sacrifice expiatoire, puis un Chelamim, qui représente la paix et l’harmonie[8]La Ola représente cette soumission à D ieu, condition nécessaire à toute vie spirituelle. Il faut être prêt à renoncer, à sacrifier ce qui est secondaire pour ce qui est essentiel. Puis, le naziréen doit demander à D ieu de lui pardonner le déséquilibre qui était le sien et qui a ainsi exigé de lui de fuir le monde auquel il n’aurait plus pu résister. Puis il apporte un Korbane Chelamim. L’essentiel de la viande de ce sacrifice est mangé par son propriétaire, jouissant ainsi de la viande « à la table de D ieu », montrant ainsi que grâce aux commandements divins les jouissances deviennent des Mitsvot.
Et c’est ainsi que le plaisir se transforme en bonheur.

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[1] Pirké Avot 4, 1
[2] Nombres 6, 5
[3] Taanit 11a
[4] Rachi sur Nombres 6, 2
[5] Nedarim 10a
[6] Isaïe 22, 1
[7] Isaïe 22, 14
[8] Voir Nombres 6, 14

 

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