Les repas de la veille de Kippour
Les repas de la veille de Kippour
Rav Nahum Botschko
La guémara (Bérakhot 8b) enseigne :
« Hiyya le fils de Rav de Difti lui dit : il est écrit « vous ferez jeûner vos personnes au neuvième jour du mois la veille » ; or, jeûne-t-on le neuf ? ne jeûne-t-on pas le dix ? Mais c’est pour te dire : quiconque mange et boit le neuf, l’Écriture le lui compte comme s’il avait jeûné le neuf et le dix. »
Ce qui est loin d’être simple à comprendre : comment le fait de manger et de boire peut-il être équivalent à jeûner ?
On trouve une chose similaire dans le domaine de la halakha : le Rema note sur le Choul‘han ‘Aroukh (Ora‘h ‘Hayyim 624, 5) « on mange et se réjouit à la sortie de Kippour car c’est un peu jour de fête ». À nouveau, on ne comprend pas : pourquoi faut-il insister là-dessus ?
Au traité Taanit (chap. 4 michna 8) la michna enseigne : « il n’y avait pas de jours plus fastes pour Israël que le 15 av et le jour de Kippour. » Surprenant ! Comment peut-on dire d’un jour tout entier dédié à la prière, au jeûne et autres restrictions que c’est un jour faste !? Un jour faste n’est-il pas plutôt jour de réjouissances ?
Concernant l’obligation de manger la veille de Yom Kippour, certains commentateurs ont expliqué que la raison en est que le manger de la veille accentue le jeûne du lendemain ; jeûner après un repas festif est plus dur que jeûner après un repas léger. D’autres, cependant, remarquent différemment que le repas de la veille de Kippour comporte une dimension de réjouissance liée au jour de Kippour lui-même.
Voici les propos de Rabbénou Yona de Gérone (Chaaré Téchouva, IV, 9) :
En effet, nous marquons notre joie de la mitzva des autres jours fériés par un repas festif ; la rémunération de la joie de la mitzva en est extrêmement accrue, ainsi qu’il est dit (I Chroniques XXIX, 17) : « et de même, ton peuple ici réuni, je l’ai vu avec joie t’offrir ses dons. » Et il est dit (Deutéronome XXVIII, 47) : « au lieu que tu aie servi Hachem ton Dieu avec joie et de bon cœur. » Or, du fait de l’obligation de jeûner tout le jour de Kippour (c’est-à-dire depuis la veille au soir), il a fallu fixer le moment du repas de fête pour la joie de la mitzva avant son commencement.
De même le Livre des significations des coutumes et de la source des règles (§ 735) signale :
« la raison pour laquelle on prend sur le temps profane pour le rajouter au temps consacré à la sainteté est d’élever le profane et de le sanctifier ; de même la mitzva de manger le neuf, puisqu’alors, au jour de Kippour, chacun d’Israël est évidemment en repentance et s’élève à un grand niveau, comme s’il s’offrait tout entier, il faut donc manger et boire la veille au neuf afin que les étincelles de sainteté restées en lui montent avec lui et qu’ainsi il ait élévation. »
Le Ritba1, commentant les propos de rabbénou Yona cites ci-dessus, écrit que « le repas du neuf est celui du dix avancé à l’après-midi du neuf à cause de l’impossibilité de le tenir le dix lui-même à cause du jeûne. » Il aurait donc fallu, si cela avait été possible, que ce repas festif ait lieu le neuf au soir, comme on le fait pour toutes les autres fêtes.
Comment surmonter de telles contradictions ? Yom Kippour est-il un jour de fête et de joie ou un jour de jeûne et de contrition ?
Il faut comprendre ceci : en Yom Kippour deux dimensions parviennent à se compléter l’une l’autre ; nous sommes tenus au jeûne absolu et au détachement des appétits mondains, nous élevant à un niveau angélique. Mais ce n’est pas par mépris de la vie en ce monde, ce n’est pas par tristesse d’avoir à y vivre, mais par joie de l’attachement à Dieu. Manger le neuvième jour, avant le jeûne et à l’issue du jour de Kippour, après le jeûne, et le jeûne du jour de Kippour lui-même, ont un seul et même objectif : élever la vie de ce monde à un niveau supérieur. À cette fin, nous devons, pour un peu plus de vingt-quatre heures, nous détacher de ce qui assure notre existence en ce monde, mais avant et après cela nous avons obligation de manger avec joie, car la lumière de Kippour qui transcende le naturel a le pouvoir d’élever la réalité naturelle de toute l’année à la proximité de Dieu et à l’attachement à Lui.
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1 Rabbi Yom Tov ben Avraham Ichbili, important talmudiste espagnol, fin 13ème et début 14ème siècle.