Lekh lekha, Vayera – Israël entre guerre et paix
Rav Shaoul David Botschko
Abraham n’est pas Moïse.
Moïse, Serviteur de D ieu, agit selon les ordres qu’il reçoit. C’est le plus grand des prophètes, car il est aussi l’homme le plus humble. Il pouvait ainsi recevoir et transmettre intacte la Parole Divine.
Abraham, lui, est le père de la nation juive. A ce titre, il prend des initiatives. Il marche « au devant de D ieu »[1].
Spontanément, il attaque quatre rois puissants pour délivrer son neveu Loth[2]. Enfin, sans en référer à D ieu, il contracte une alliance avec Avimélé’h; il signe avec son ancien ennemi un traité de paix qui est aussi une renonciation à une partie d’Erets Israël[3].
Dans une première lecture, il semble que D ieu ne conteste point les initiatives d’Abraham.
Abraham avait compris que l’homme ne devait pas se fier aux miracles et qu’il fallait agir pour faire avancer l’histoire dans le bon sens.
Aussi, lorsque la sécurité des siens était-elle menacée, il n’avait pas attendu un quelconque ordre divin. Sans hésiter une seconde et avec un courage extraordinaire, il se jeta dans un combat inégal.
Ce n’est qu’après la victoire qu’il prit peur: les représailles pourraient être terribles; ce n’est qu’après la victoire qu’il fut angoissé: peut-être avait il tué des innocents. C’est alors seulement qu’il pria D ieu qui se révéla enfin à lui pour le rassure[4].
Plus tard lorsqu’Abiméle’h lui proposa la paix, il n’interrogea pas D ieu, il utilisa les facultés de discernement que le Tout Puissant dispense à l’homme pour répondre positivement aux propositions d’Abiméle’h. Il reçut de sa part l’engagement de ne plus lui nuire, de mettre fin au « terrorisme » et de son côté, il renonçà à ses droits sur une partie de la terre promise.
A priori, il semble qu’ici aussi, D ieu ait approuvé l’attitude d’Abraham puisqu’Il ne lui fait aucun reproche.
Mais les sages d’Israël, dans le Talmud et le Midrash ont sévèrement critiqué Abraham pour chacune de ces initiatives et leurs reproches ont valeur d’enseignement pour toutes les générations.
Ils ne contestent pas la valeur irremplaçable de l’acte de sauvetage, mais ils n’acceptent pas tous les moyens mis en oeuvre par le père de la nation:
Pourquoi nos ancêtres furent ils asservis en Egypte? C’est parce qu’Abraham enrôla les jeunes élèves qui étudiaient la Thora[5].
Le Maharal explique qu’Abraham manqua de foi en D ieu en faisant partir en guerre des personnes qui, n’étaient, à cette époque, pas destinées pour cette mission. Pour aller en guerre, il faut enrôler les soldats et ne pas perdre la tête en appelant les uns et les autres sans faire de distinction. On peut ajouter que nos sages ont voulu, par leur critique, donner un message universel. La spiritualité ne doit jamais quitter Israël, et même lorsque l’on pratique cette Mitsva essentielle qui est de sauver la nation, il ne faut jamais perdre de vue la finalité spirituelle. Les maisons d’étude ne doivent jamais se fermer.
Cette harmonie qui doit règner entre la vie spirituelle et l’action nationale est à la base de l’antique loi qui demandait que l’Arche Sainte accompagnât les soldats dans leurs combats.
C’est le reproche inverse que les sages d’Israël adressent à Abraham lorsqu’il contracte son Alliance avec Abimélé’h. Cette terre appartient à D ieu qui l’a désignée pour le peuple d’Israël. il n’a pas le droit de se l’aliéner.
Ce premier refus d’Erets Israël va être, pour le Midrash, à la source des nombreux malheurs qui s’abattront sur Israël :
« Tu lui as donné sept moutons; eh bien leurs descendants détruiront les sept temples de
l’histoire juive »[6].
Céder Erets Israël équivaut à refuser la Présence divine qui n’y réside que pour le peuple d’Israël. Lorsque le peuple juif renonce à son pays, et en particulier aux endroits les plus sacrés, c’est le signe qu’il refuse ce que représente cette terre particulière. La punition normale est alors la destruction des lieux porteurs de cette Présence.
Développant cette idée, le Rachbam explique, qu’en fait, dans la Thora même, on nous rapporte la punition qui fut infligée à Abraham, il s’agit du sacrifice d’Isaac.
Après qu’Abraham contracta une alliance avec Avimélé’h pour lui, son fils et son petit -fils, D-ieu se mit en colère contre lui, car la terre des Philistins avait été attribuée à Abraham; alors D-ieu punit Abraham et le fit souffrir et lui dit : Tu t’es ennorgueillis avec le fils que je t’ai donné pour contracter une Alliance entre leurs descendants et tes descendants, va et offre le en sacrifice et l’on verra à quoi auront servi tes alliances[7].
Une façon de nous dire que renoncer de manière définitive à Erets Israël est une attitude suicidaire.
________________________________________
[1] Genèse 24, 40
[2] Genèse 24, 14
[3] Genèse 24, 21
[4] Genèse 24, 25
[5] Nedarim 32a
[6] Midrash cité par Rachbam sur Genèse 22, 1
[7] Rachbam sur Genèse 22, 1