Vayigach « Il envoya Yehouda en avant… »
Rav Shaoul David Botshko
La Thora nous raconte que parmi les préparatifs de Jacob lors de sa descente en Égypte, « il envoya Yéhouda en avant chez Joseph, pour qu’il lui prépare l’entrée de Gochen# » (Genèse XLVI, 28). De quelle mission Jacob a-t-il chargé Yéhouda ? Quel en était le but ?
Les mots traduits ci-dessus par « pour qu’il lui prépare l’entrée » constituent déjà une interprétation par rapport au texte original. Celui-ci porte léhoroth léfanav, ce qui ne peut se traduire littéralement que par « pour enseigner devant lui » ou « pour instruire devant lui ». Ainsi traduit, le verset signifierait que Jacob à envoyé Yéhouda en avant, chargé d’une mission d’enseignement ou d’instruction dont le contenu n’est pas précisé. Rachi donne à ce sujet deux explications :
C’est d’après la première que la Bible du rabbinat a donné sa traduction : « pour lui dégager un emplacement et donner des instructions quant à son installation. » Ce serait, selon Rachi, le sens obvie.
D’après le midrach, toutefois, l’objet des préparatifs serait plus précis : « établir une maison d’études d’où procèderait l’enseignement », afin que tout soit déjà prêt lors de l’arrivée de Jacob sur place.
Jacob sait que du petit groupe familial descendant en Égypte un peuple tout entier est appelé à naître – la nation d’Israël. Il est évident pour lui que pour préserver son existence, un lieu d’études est indispensable où il pourra étancher sa soif spirituelle.
C’est l’occasion de nous étendre un peu sur l’importance capitale de l’étude de la Thora.
Le Choulhane Aroukh (Yoré Déa 246, 1) enseigne : « Tout Juif a l’obligation d’étudier la Thora, qu’il soit pauvre ou riche, en bon état physique ou souffreteux, jeune ou très âgé ; même un pauvre mendiant au porte à porte, même une personne chargée de famille, tous doivent réserver du temps consacré à l’étude de la Thora de jour et de nuit, ainsi qu’il est dit : “tu la méditeras de jour et de nuit”. »
L’étude de la Thora exerce une influence sur chacun en particulier et sur la collectivité tout entière.
L’influence particulière : « Dieu a dit à Israël : Mes enfants, j’ai créé le penchant au mal et je lui ai créé la Thora comme antidote. Si vous vous occupez de la Thora, vous ne serez pas livrés aux mains du penchant, mais si vous la délaissez, vous serez livrés entre ses mains (Qiddouchine, 30b). » Ce qui signifie que l’étude de la Thora a la propriété de sauver l’homme de l’emprise du penchant au mal ; de ce fait, il peut choisir librement la voie droite. L’étude de la Thora aide l’homme à choisir le bien et à orienter positivement ses penchants.
Rabbi Mochè Hayyim Luzzatto écrit (Derekh Hachem, 4ème partie, 2) que de toutes les bonnes choses que Dieu dispense à Ses créatures, la plus élevée est destinée à ceux qui étudient la Thora. Il est inscrit dans les lois de la nature que quiconque s’occupe de la Thora, qu’il soit seulement capable d’en déchiffrer les lettres où qu’il pénètre au profond de ses secrets, atteint des degrés de perfection de plus en plus élevés et obtient de s’attacher à Dieu, Source de toutes les bénédictions.
L’influence collective : « Dieu a fait d’Israël le cœur du monde entier, et Israël est ainsi au milieu des nations comme le cœur parmi les membres… et Israël se conduit parmi les nations à la manière du cœur au milieu des membres » (Zohar s/Pinhas, d’après le commentaire du Soulam, 152-153). De même que le cœur dispense l’énergie aux membres, ainsi Israël diffuse le flux de leur vitalité aux nations. Le cœur est le plus sensible des membres (voir là-bas), c’est-à-dire que la bénédiction des nations dépend d’Israël. Rabbi Mochè Hayyim Luzzatto explique à ce propos que celui qui étudie en bénéficie non seulement lui-même pour sa propre destinée, et s’attache à Dieu, mais il contribue aussi à la rédemption du monde grâce à son étude de la Thora. Et le rav Kook ajoute que grâce à l’étude de la Thora de chaque personne, « nous contribuons au perfectionnement universel, le service du juste est renforcé grâce à nous et la méchanceté du méchant s’adoucit en quoi que ce soit, et des bouffées de repentir le saisissent ; même les animaux et les bêtes sauvages s’apaisent, et les créatures sur le point de nuire et d’abîmer se calment et s’adoucissent et se purifient, etc. » (Lettres, 1ère partie, lettre n° 301.)
L’étude de la Thora a donc la puissance d’influer tant sur l’individu que sur la collectivité et sur la création tout entière et c’est là une loi cosmique imprimée par le Créateur dans le fonctionnement de son monde.
Le midrach cité par Rachi formule, me semble-t-il, le sens profond du pchat : Yéhouda a été envoyé en avant à Gochen afin d’y fonder une maison d’étude, car ce n’est que grâce à la Thora, ce par quoi le monde subsiste, qu’il est possible de préparer le lieu où Israël envisage de s’établir.