‘Hayé Sarah – Qui était Abraham ?
Rav Shaoul David Botschko
Abraham est l’homme de la paix. De prime abord, il apparaît comme celui qui est prêt à de grandes concessions pour cet idéal : c’est ainsi qu’il propose à Loth de choisir l’endroit où il veut s’établir; il contractera une alliance avec Aviméle’h; il hésitera avant de chasser Ismaël; il priera pour les habitants de Sodome. Mais une étude plus attentive des textes révèle un personnage plus complexe. La bonté d’Avraham, son sens de la charité, son amour du prochain quel qu’il soit, allaient de paire avec une volonté farouche de créer la nation dont il devait être le père, de façonner un peuple particulier respectant la mission de D ieu et de prendre possession du pays que D ieu lui avait promis.
LA FORCE
A deux reprises, il n’hésite pas à utiliser un stratagème pour que les grands de ce monde reconnaissent sa suprématie. C’est ainsi qu’en Egypte, il laisse faire le roi qui veut s’approprier de son épouse et qui le comble ainsi de cadeaux. Pharaon deviendra malade et finalement il sera obligé de rendre Sara à son époux; pour se faire pardonner il enrichira énormément Abraham :
« (En quittant l’Egypte) Abraham était très puissant en troupeaux, argent et or »[1].
Abraham utilisera la même méthode en Israël lorsqu’Aviméle’h, roi de Guerar voulut s’emparer de sa femme. Lorsque celui ci fut contraint de la libérer, il couvrit Abraham de présents :
« Aviméle’h prit du menu bétail, du gros bétail, des esclaves et des servantes et il donna le tout à Abraham »[2].
Abraham, indubitablement, n’avait que mépris pour l’argent. Il avait tout abandonné pour suivre l’injonction de D ieu de quitter sa patrie. Il refusera les dons que le roi de Sodome voulait lui offrir. Si Abraham a tenu à ce que ces puissants renoncent à une partie de leurs richesses à son profit, c’était uniquement pour accomplir l’ordre divin : il devait, lui, Abraham, l’homme de paix, devenir également un homme puissant qui puisse imposer un certain nombre de valeurs fondamentales dans les relations entre les nations. C’est grâce à cette puissance qu’il pourra mener une guerre victorieuse contre les 4 rois qui avaient kidnappé Loth.
LE PEUPLE
Au début de sa mission, Abraham n’a pas encore de fils, mais nombreux sont les prétendants qui désirent ardemment devenir son héritier. Le plus connu d’entre eux est Loth son neveu. La dispute qui avait éclaté entre les bergers d’Abraham et ceux de Loth avait comme toile de fond l’héritage d’Abraham. En effet, selon le commentaire de Rachi, les bergers de Loth se considéraient comme les héritiers d’Abraham et voulaient s’approprier des terres « en avance ». C’est alors qu’Abraham intervint énergiquement, certes avec beaucoup de diplomatie et de gentillesse, mais dans ce gant de velours, c’était une main de fer qui agissait. Loth n’aura pas le choix; il devra se séparer d’Abraham. Lui, le neveu fidéle qui a eu le courage de suivre Abraham lorsque D ieu lui ordonna de quitter la maison de Téra’h, doit se séparer d’Abraham lorsqu’il veut outrepasser ses droits.
Abraham n’a pas peur du particularisme. Il sait que le peuple qu’il doit créer doit être issu de lui. S’il hésite à chasser Ismaël, c’est parce que celui ci est « son fils » : « la chose déplut fort à Abraham à cause de son fils ». Mais quand D ieu lui eût expliqué que c’est la descendance d’Isaac qui sera appelée à être son continuateur, il n’hésitera pas :
« Abraham se leva de bon matin; il prit du pain, une cruche d’eau qu’il donna à
Hagar et les plaça sur ses épaules; il lui donna aussi l’enfant. Il les renvoya de sa
maison »[3].
LA TERRE
Une étude attentive des versets consacrés à l’alliance qu’Abraham contracta avec Aviméle’h montre qu’Abraham n’avait nullement renoncé à ses droits sur Erets Israël; bien au contraire, il a fait reconnaître par Aviméle’h que son installation dans le pays était définitive et qu’il serait vain de vouloir tenter de le déloger:
« Et Abraham fit des reproches à Aviméle’h à propos des puits volés par les serviteurs d’Aviméle’h… Il prit 7 moutons… Aviméle’h demanda: que représentent donc ces moutons ? Avraham lui répondit : ces 7 moutons, tu les prendras afin qu’ils soient un témoignage que c’est moi qui ai creusé ces puits. Aviméle’h acquiessa »[4].
*
Dans la Paracha de ‘Hayé Sara, ces trois dimensions sont réunies. C’est en grand seigneur qu’Abraham est reçu par les Hitéens. Personne, disent ils, ne lui refuserait son lopin de terre. Et c’est dans cette Paracha qu’Abraham demande à son intendant de chercher pour Isaac une femme qui soit issue de la famille d’Abraham. En aucun cas, elle ne devait être cananéenne. Et de plus Abraham interdit à Isaac de quitter la terre d’Israël quel que soit le motif.
Abraham a dit oui à la paix. Mais, il n’a renoncé ni à son honneur, ni à son identité ni à sa terre.
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[1] Genèse 13, 2
[2] Genèse 20, 14
[3] Genèse 21, 14
[4] Genèse 21, 25 à 30