Du 15 Av à Yom Kippour
Rav Nahum Botshko
Nous sommes en plein dans la période qui va du 15 du mois d’Av – on dit en hébreu Tou beAv, comme on dit Tou biChvat – à Yom Kippour. Deux dates sans rapport discernable entre elles. La première est aussi insignifiante et anonyme que n’importe quel jour ouvrable de l’année et la seconde peut-être la plus chargée de sens et spiritualité qui se puisse concevoir. Oui, mais voilà : une michna du traité Ta‘anith, la dernière en fait (IV, 8) nous apprend une chose étonnante !
« Rabbi Chime‘on ben Gamliel a enseigné : il n’y avait de jours meilleurs pour Israël que Tou beAv et Yom Kippour, où les filles de Jérusalem sortaient vêtues de tuniques blanches empruntées … et dansaient dans les vignes… »
Si Tou beAv est connu aujourd’hui en Israël comme le « jour de l’amour », ce n’est pas exactement ainsi que l’on se représente le jour austère et solennel du « grand pardon » ! Pourtant la suite de la michna ne laisse aucun doute. Ces jours là étaient des « sites de rencontre » ; on y concluait des mariages.
Le Talmud (Ta‘anith 30b-31a) discute de la comparaison entre ces deux dates. La joie de se savoir pardonné à Yom Kippour est compréhensible. La nature de Tou beAv est moins claire. Yom Kippour est le jour où les Deuxièmes Tables ont été données à Israël, gage du pardon de Dieu
après la faute du veau d’or. Ce jour apporte la certitude que la téchouva, retour-repentir, est efficace. Ce jour est donc par essence de nature joyeuse. C’est un jour où peut s’exprimer dans toute sa formidable intensité l’amour qui unit Dieu et Israël. En ce jour, le cohen gadol, l’homme investit de la plus haute sainteté en Israël, pénètre dans le lieu le plus saint du monde, le Saint des saints du Temple de Jérusalem, réalisant l’union profonde et intime entre Israël et son Dieu. L’essence de ce jour fait expiation des fautes et réalise plutôt qu’il n’exprime le verset du Cantique : « Tu es toute belle, ma bien-aimée, et sans défaut. » (IV, 7)
Et en quoi le 15 du mois d’Av mérite-t-il d’être placé par la michna sur le même plan que ce jour exceptionnel ?
La guémara énumère cinq événements qui se sont produits le 15 Av ; un simple examen révèle qu’il s’agit d’occasions où l’unité d’Israël s’est reforgée après des situations de division et de rupture.
1. Le jour où les mariages entre les tribus ont été autorisés. Jusque-là, les unions étaient limitées aux membres d’une même tribu. Le 15 du mois d’Av marque donc l’union entre les tribus d’Israël.
2. Le jour où il a été permis aux membres de la tribu de Benjamin de se marier. Elle avait été mise au ban à cause de l’événement terrible relaté dans le livre des Juges (chap. xix et suiv.). La tribu de Benjamin a failli disparaître des suites de cette affaire. Tou
beAv est un jour de réconciliation et de la joie des retrouvailles.
3. La faute des explorateurs avait condamné la génération sortie d’Égypte âgée de vingt ans et plus à mourir dans le désert. À Tou beAv de la quarantième année, la mortalité avait cessé. En ce jour là aussi, la Parole divine qui s’était tue pendant toutes ces années s’est adressée à nouveau à Moïse. La déchirure survenue entre Israël et son Dieu, entre Israël et sa terre a commencé à trouver sa réparation.
4. En ce jour, Hoché‘a ben Ala, souverain du royaume du Nord, a supprimé les gardiens placés par Jéroboam sur les routes menant à Jérusalem pour empêcher le peuple de monter en pèlerinage au Temple. Le schisme politique entre le royaume de Juda et le royaume d’Israël devait entrainer une division profonde au sein même du peuple, de son identité et de sa foi. Le roi Hoché‘a, le 15 Av, a rouvert les portes de communication et rétabli le lien de tout le peuple avec le Sanctuaire et la Présence divine.
5. Après la défaite de la révolte de Bar Kochba, la ville de Bétar, dernier bastion de la résistance a été détruite. L’occupant romain a interdit l’inhumation des dépouilles des combattants juifs tombés dans la bataille leur interdisant le repos de l’âme. Le jour de Tou beAv ces corps ont finalement pu être enterrés,
jour de grande consolation pour les familles et jour où les âmes des défunts ont pu être réunies au « faisceau de vie ».
Ces deux jours, Tou beAv et Yom Kippour ont donc en commun d’être des jours d’union et d’unité retrouvée après les affres des séparations. Les jours situés entre ces deux dates sont ainsi l’occasion d’un processus non seulement de repentance mais aussi de réconciliation et de réunion.
Puissions-nous monter et nous élever en ces jours et réaliser chacun l’union avec le Maître des destinées grâce à l’union et à l’identification de chacun avec la collectivité d’Israël, le Klal Yisrael.
Traduit par Rav E. Simsovic