Chlakh Lekha – La faute des explorateurs
Rav Nahum Botschko
La paracha de cette semaine, parachat chlah lékha, relate la faute des Explorateurs qui ont médit du pays d’Israël, conduisant le peuple à manifester du dédain pour la terre délectable et à déclarer qu’il préférait faire volte face et retourner en Égypte.
Le lecteur ne peut que rester stupéfait : qu’est-il arrivé à ces Explorateurs dont la Thora a dit qu’ils étaient « tous personnages considérables, d’entre les chefs des enfants d’Israël » ? Rachi souligne d’ailleurs qu’au moment de leur départ en mission c’était des gens de bien, purs de toute faute (Rachi s/Nombres XIII, 3). Comment en sont-ils arrivés à une telle hostilité à l’égard d’Eretz- Israël ?
Pour comprendre « l’affaire des Explorateurs », nous devons avoir présente à l’esprit l’envergure extraordinaire de la « génération du désert ». Ces hommes ont eu le privilège d’assister en personne à la Révélation au pied du mont Sinaï. Ils ont « vu les voix » et entendu de la Bouche divine : « Je suis Hachem ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte… ; tu n’auras pas de dieux étrangers devant Ma Face… » La tradition appelle cette génération « la génération de la Connaissance ». Elle a eu le privilège de connaître Hachem au niveau le plus haut et de continuer à étudier la Thora de la bouche de Moïse notre maître – et maître des prophètes ! Cette génération a bénéficié dans sa marche au désert des soins miraculeux de la Providence : des nuées de gloire l’entourent de toute part et la protègent ; une colonne de nuées la guide le jour et une colonne de feu la nuit ; elle reçoit pour nourriture la manne céleste ; elle s’abreuve au puits miraculeux de Myriam qui la suit dans ses déplacements. La Thora va jusqu’à témoigner de ce que les vêtements ne s’usaient pas ! En d’autres termes, Israël était alors à l’abri de tout souci matériel, disponible à l’étude de la Thora et aux seules préoccupations spirituelles.
Mais telle n’est pas la vocation d’Israël en ce monde. Sa destinée est d’être « royaume de prêtres et peuple saint », combinaison qui dénote une vie de plénitude de l’ordre de ce monde concret, sanctifiée par l’attachement à Dieu. Pour atteindre à ce niveau, il faut prendre possession de la terre, couronner un roi et établir des cadres politiques et économiques pour la gestion du pays. En d’autres termes, pour réaliser sa vocation terrestre, Israël doit affronter sans détour les problèmes concrets du monde matériel ; il ne peut pas se contenter d’une vie éthérée et théorique.
Les Explorateurs étaient soucieux de la mutation qui se préparait dans la vie nationale. Soit qu’il leur convenait de se complaire dans une existence de spiritualité abstraite, soit qu’ils appréhendaient la rencontre avec le monde matériel et concret et les risques qu’elle implique – à Dieu ne plaise – de perdre pied et de chuter du haut de leur grandeur. Ils ont donc décidé de rester à l’abri des nuées de gloire dans le désert et de ne pas pénétrer dans le pays où ils auraient à vivre une vie « bassement » terrestre. Les Explorateurs ont convaincu le peuple d’Israël en ayant recours à des méthodes sophistiquées de désinformation. Ils lui ont présenté les fruits du pays d’Israël, impressionnants par leur taille, visant à désigner ainsi la puissance matérielle exacerbée de la terre. Cette terre se révèle être donc – littéralement – terrestre. Pour y vivre, il faudrait renoncer à nos conquêtes spirituelles et célestes. Les Explorateurs ont choisi délibérément de passer sous silence les vertus propres d’Eretz-Israël, qui permettent précisément d’élever et de sublimer la vie matérielle grâce au projet divin, la Présence divine y résidant en permanence. C’est ainsi qu’il pouvait être donné à Israël de sanctifier le Nom divin dans le monde d’en bas et de réaliser la finalité en vue de la quelle le monde a été créé – et la sienne propre1. Il semble que telle soit l’intention des propos de nos Sages dans le midrach ; sur le verset (Zacharie IX, 9) : « réjouis-toi beaucoup, fille de Sion… voici que ton roi vient à toi ». Ils expliquent2 : « celui qui est appelé roi et qui est destiné à régner sur les premières et les dernières générations. Le Saint béni soit-Il en appelle aux justes de toutes les générations et leur dit : Ô justes sur qui le monde repose, bien que les paroles de la Thora me soient chères, vous n’avez pas bien agi en vous préparant pour Ma Thora et en négligeant de vous préparer pour Ma royauté. » C’est très exactement l’erreur des Explorateurs qui ont préféré se lover à l’ombre de la Thora divine, mais en la séparant de Sa souveraineté, renonçant à agir pour la réalisation du projet de cette même Thora qui est de transfigurer ce monde par sa lumière. Nous avons, quant à nous, la possibilité et le devoir de redresser les torts des Explorateurs. Le rav Chlomo Teichtel – Dieu venge son sang – a écrit dans son livre Em Habanim Semékha (chap. 3) : « Si nous voulons réparer [la faute des Explorateurs], nous devons faire maintenant ce qu’ils ont négligé de leur temps : agir pour éveiller amour et désir dans les cœurs d’Israël partout où ils se trouvent en faveur de la terre délectable de nos pères, et qu’un feu ardent les anime pour qu’ils viennent conquérir la sainte terre et qu’ils la désirent plus que toute chose désirable au monde. Cela seul sera la réparation efficace du terrible dommage provoqué par leur faute. »
Traduit et adapte par R.E. Simsovich