Chla’h Lekha – Hevron, point de rupture
Rav Shaoul David Botschko
Moïse envoya douze explorateurs pour préparer la conquête de Canaan. C’est D-ieu Lui-même qui donna l’ordre. Pour cette mission, Moïse choisit les hommes parmi les meilleurs. Ils étaient tous des justes[1].
Quarante jours plus tard, ils reviennent et ne s’entendent plus du tout. Ils se sont scindés en deux groupes, les « bons » et les « méchants ».
Les « bons » sont Caleb et Josué qui encouragent le peuple à avancer pour conquérir la terre promise.
Les « méchants » sont largement majoritaires, ce sont les dix explorateurs qui manipulent la population avec leurs discours. On dirait d’eux aujourd’hui qu’ils s’étaient attelés à une vaste opération de désinformation.
En effet, sous le couvert de l’objectivité, ils firent naître l’angoisse d’abord, instillèrent ensuite le doute, puis enfin poussèrent à la révolte.
Ils présentèrent les fruits magnifiques d’Israël qu’ils avaient soigneusement choisis. Il cueillirent les fruits les plus gigantesques qu’ils purent trouver, les transportèrent sur d’immenses barres qu’ils devaient porter à plusieurs. En somme un magnifique montage pour impressionner la population. Ils ajoutèrent un mot :
« Mais »[2].
Les hommes là-bas sont aussi impressionnants que les fruits. Un frisson passa alors sur toute la communauté.
Le peuple était alors mûr pour le doute. Ils décrivirent alors avec force la puissance des Cananéens des citadelles qu’ils avaient observées. Occuper la terre d’Israël déjà habitée par d’autres était une folie.
De là à la révolte, il n’y avait plus qu’un pas. Les mois d’errance dans le désert furent un habile prétexte pour monter toute la population contre Moïse…
Comment ces hommes, ces justes en sont-ils arrivés à trahir ainsi la mission qu’ils avaient acceptée avec tant d’enthousiasme ?
Le point de rupture, c’est Hevron, explique Rav Samson Raphaël Hirsch. Les douze explorateurs montaient dans le Néguev. Soudain la Thora utilise le singulier pour dire qu’ils se rendirent à Hevron :
Ils montèrent dans le Néguev et il arriva à Hevron[3].
Le singulier, explique Rachi, s’adresse à Caleb, qui seul, alla prier sur le tombeau des patriarches pour échapper au plan des explorateurs.
C’est certainement tous ensemble qu’ils pénétrèrent dans cette agglomération. La Thora raconte en effet, la présence des géants qui dirigeaient cette ville. Et c’est là-bas que le groupe se disloqua. A la vue de ces géants, la majorité s’empressa de quitter cette ville. Elle était beaucoup trop dangereuse. C’est là-bas que la peur s’empara des hébreux qui se trouvaient seuls au milieu de cette population hostile qui les observait d’un regard haineux. A l’époque, les habitants de Hevron représentaient la population cananéenne dans toute sa sauvagerie, dans toute sa violence.
Caleb ne céda pas à la panique. Il se rendit à la caverne de Ma’hpéla pour trouver chez les patriarches le courage de poursuivre la voie dans laquelle il s’était engagé.
Si Jérusalem représente le lien entre le peuple d’Israël et le ciel, la Jérusalem d’en haut se trouvant juste au-dessus de la Jérusalem d’en bas, Hévron, elle, représente le lien avec la terre.
Par Abraham, le peuple juif appartint à la terre d’Israël avant même qu’il ne reçut la Thora au Mont Sinaï. Abraham acquit le champ immense qui contenait la fameuse caverne, à la vue de tous les habitants et la Thora témoigne de ce contrat, le plus vieux et le plus célèbre acte d’acquisition. Il y enterra Sara pour montrer qu’il s’incrustait dans cette terre. Il demanda d’y être enterré à son tour.
En Egypte, Jacob, avant de mourir ne demanda à ses enfants qu’un seul engagement :
Il leur donna un ordre et leur dit : « Je vais mourir; enterrez-moi avec mes pères, dans la caverne du champ d’Ephron le Hittite; dans la caverne qui se trouve dans le champ de Ma’hpéla qui est devant Mamré (Hevron) dans le pays de Canaan; c’est là-bas qu’ont été enterrés Abraham et Sara, c’est là que j’ai enterré Isaac et Rivka son épouse et c’est là que j’ai enterré Léa; le champ et la caverne qui s’y trouve qui a été achetée des Hittites »[4].
Pour Caleb, comme pour nous, Hévron a une deuxième dimension, c’est celle de la fidélité aux patriarches. Cette ville ne nous lie pas seulement à Erets Israël, elle nous attache à Abraham, Isaac et Jacob.
Renoncer à Hévron, c’est dire que l’état d’Israël n’est rien d’autre que l’Ouganda en Palestine.
Lui être fidèle, c’est s’enraciner dans le pays.
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[1] Nombres 13, 3 et Rachi
[2] Nombres 12, 28
[3] Nombres 13, 22
[4] Genèse 69, 29 à 32