Vayikra – La terre et l´exigence de sainteté
Rav Shaoul David Botschko
Curieusement le thème de la terre d’Israël apparait dans chacune des Parachiot de ce mois.
Le peuple d’Israël avait reçu la Tora, il venait de terminer la construction du Tabernacle et avait appris les lois concernant les sacrifices. Il était mûr pour entrer dans la terre promise. Dieu lui enseigne alors que le don de la terre n’est pas gratuit. Ce peuple doit devenir une nation sainte qui rejettera avec force les pratiques graves en particulier l’inconduite morale des 7 nations qu’il devra détruire:
Respectez Mes lois et Mes commandements et appliquez les afin que la terre où Je vous amène ne vous vomisse pas. Ne suivez pas les lois des peuples que Je chasse de devant vous, car c’est à cause de leurs lois iniques que Je les ai pris en aversion. Et Je vous dis: c’est vous qui hériterez de leur terre et Moi Je vous la donnerai pour que vous soyez possesseurs de cette terre ruisselante de lait et de miel. Je suis Hachem votre Dieu qui vous ai distingué parmi les peuples[1]
La promesse faite aux patriarches n’était donc pas suffisante pour qu’Israël puisse chasser les habitants du pays. Il a fallu que ceux ci aient démérité au point que D ieu lui même les avait pris en aversion. Le droit d’Israël à sa terre devient donc un droit conditionnel. Lorsque le peuple juif imite les Cananéens, le fondement même de son droit est mis en question.
Mais, dans les Parachiot d’Emor et de Behar, nous voyons qu’il ne suffit pas qu’Israël ne soit pas aussi mauvais que les Cananéens. D ieu demande à Israël une élévation morale qui doit se traduire par un sens inné de la solidarité humaine:
Lorsque vous moissonnerez dans votre pays, tu ne moissonneras pas le coin de ton champ et tu ne ramasseras pas les glanes de ton champ. Laisse les pour le pauvre et pour l’étranger, Je suisHachem votre Dieu[2].
Si ton frère vient à s’appauvrir et que sa fortune chancelle, soutiens le, l’étranger comme le citoyen; qu’il puisse vivre décemment à tes côtés. N’accepte de sa part ni intérêt ni profit. Tu craindras ton Dieu et que ton frère puisse vivre à tes côtés… Je suis Hachem votre Dieu qui vous ai sorti du pays d’Egypte pour vous donner le pays de Canaan, pour être Dieu pour vous[3].
Le Lévitique se termine par la Paracha de Be’houkotaï, Péricope effrayante dans laquelle Dieu annonce aux enfants d’Israël tous les malheurs et toutes les malédictions qui s’abattraient sur leur pays s’ils ne respectaient pas les lois divines. Finalement s’ils persisteront dans leurs égarements, ils en seraient chassés à leur tour, l’exil étant présenté comme le plus grave des châtiments:
Je mettrai vos villes en ruines, votre Temple en désolation et Je ne supporterai plus l’odeur de vos sacrifices. Je transformerai le pays en terre de désolation; et sa désolation s’accentuera sous l’occupation de vos ennemis. Et vous Je vous éparpillerai parmi les peuples, l’épée vous poursuivra partout; votre pays restera une désolation et vos villes des amas de ruines[4].
Pourtant Rachi a su déceler, dans ces prophéties terrifiantes une consolation. En effet il remarque que: « la désolation s’accentuera sous l’occupation des ennemis » et il commente:
Ceci est une bonne nouvelle pour Israël: les ennemis qui occuperont la terre seront refusés par elle; ils ne pourront pas s’y enraciner. La terre restera inculte et vidée de ses habitants jusqu’au retour des enfants d’Israël[5].
Cette prophétie également s’est réalisée. Durant les 2000 ans d’exil, Israël a été occupé par des peuples différents. Aucun d’entre eux n’a réussi à faire revivre le pays; durant cette longue histoire la terre restait désespérément désertique dans l’attente du retour de ses enfants.
Moïse ne termine pas sa prophétie avant d’annoncer que finalement viendra le jour du retour. Le peuple juif acceptera à nouveau de se soumettre à Dieu; D ieu à Son tour expiera leur péché et Se souviendra de l’Alliance:
Je Me souviendrai de Mon Alliance avec Jacob, et également de mon Alliance avec Isaac, et également de Mon Alliance avec Abraham Je Me souviendrai et de Ma terre Je Me souviendrai[6].
Et Moïse ajoute que, même en exil, D ieu n’a pas renié le pacte qui Le lie avec le peuple juif:
Et malgré tous les châtiments que J’annonce et même lorsqu’ils se trouveront dans le pays de leurs ennemis, Je ne les aurai ni dédaignés, ni pris en aversion au point de les anéantir et de renier l’Alliance qui Me lie à eux, car Je suis Hachem leur Dieu. Et Je me souviendrai de l’Alliance avec les générations premières que J’ai fait sortir d’Egypte aux yeux des nations pour être leur Dieu; Je suis Hachem. (XXVI, 44)
Ces versets de Be’houkotaï témoignent de la double exigence qui prend sa source dans la sainteté de la terre d’Israël. D’une part cette sainteté exige du peuple d’Israël qu’il se conduise conformément à la volonté de Dieu. Mais cette terre exige absolument le peuple d’Israël. Cette exigence n’est donc pas facultative: c’est à dire si le peuple juif voulait se conduire conformément à la Tora, il résiderait sur sa terre et sinon il en serait chassé et vivrait en exil.
Non ! L’exil n’est que provisoire et n’abolit pas l’Alliance. Il n’y a donc pas d’alternative pour Israël: la terre exige son peuple et celui ci devra se conduire avec sainteté.
Les temps messianiques sont ceux de la Révélation de cette attraction de la terre pour son peuple. Rien ne peut alors empêcher ni le retour à Sion ni le Retour à la Tora qui en est l’accomplissement.
Le prophète Jérémie dans la Haftara de Behar s’était déjà penché sur ce paradoxe. Il vivait à la veille de la destruction du Temple et de la déportation des juifs de Judée qu’il avait lui même annoncé et voici que Dieu lui ordonne d’acheter un champ devant de nombreux témoins. Jérémie s’interroge alors:
Voici, D ieu Tu as sorti Israël du pays d’Egypte… Tu leur as donné ce pays là que Tu avais promis à leurs pères de leur donner, un pays où ruissellent le lait et le miel. Ils sont venus, ils ont pris possession du pays, mais ils n’ont pas écouté ta voix et n’ont pas respecté Ta Tora,… et voici que tous ces malheurs leur arrivent. Voici que des armes puissantes avancent pour prendre la ville d’assaut et voici qu’elle va tomber dans la main des chaldéens qui l’assiègent, en proie qu’elle est au glaive, à la famine et à la peste; ce que Tu as annoncé est arrivé comme Tu le vois. Pourquoi donc m’ordonnes tu D ieu d’acheter un champ avec de l’argent devant des témoins, alors que la ville tombe dans la main des chaldéens[7] ?
L’interrogation de Jérémie est celle de tous les hommes à toutes les époques de l’histoire qui se demandent comment la délivrance pourra t elle un jour arriver, puisque le maintien d’Israël sur sa terre dépend de sa conduite ?
C’est cela le mystère de la délivrance. Dieu seul peut rendre possible ce qui même spirituellement semble impossible:
Dieu répondit à Jérémie dans ces termes: « Je suis Hachem, Dieu de toute chair, y a t il quelque chose qui me soit impossible ?[8] «
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[1] Keddochim 20, 22 à 24
[2] Emor 23, 22
[3] Behar 25, 35
[4] Behar 26, 31 à 33
[5] Rachi sur le verset 32
[6] Behar 26, 42
[7] Jérémie 32
[8] Jérémie 32