Vayechev – La perle
Rav Shaoul David Botschko
Chacun le sait Rachi est concis.
Pourtant son premier commentaire de la Paracha semble être un contre-exemple. Il veut expliquer pourquoi on a résumé l’histoire d’Esaü en un seul chapitre (Chap. 43) alors que celle de Jacob s’étend sur des parachiot entières.
Dans ce commentaire, on peut distinguer trois parties qui semblent exprimer la même idée
1) « Après que le texte ait raconté l’histoire d’Esaü en résumé – car il n’est pas important de détailler toutes ses péripéties: comment il s’est installé, l’ordre des guerres qu’il a menées, les peuples qu’il a chassés – le texte s’allonge sur l’installation de Jacob, sur sa descendance, sur les causes et le déroulement de son histoire, car celle-ci est importante aux yeux de D-ieu ».
Pour le lecteur qui n’aurait pas compris cette explication, Rachi l’illustre d’exemples et c’est la deuxième partie de son commentaire
2) « Et ainsi à propos des dix générations qui vont de Adam à Noé, la Thora se contente de
dire: un tel a enfanté un tel et lorsqu’elle arrive à Noé, elle raconte son histoire. Et ainsi en est-il des dix générations qui vont de Noé à Abraham, on n’en fait qu’un résumé alors que pour Abraham on donne tous les détails ».
Si d’aventure, un lecteur n’avait toujours pas compris, voilà une parabole
3) « A quoi peut-on comparer cela: A une perle qui serait tombée dans le sable; l’homme cherche alors dans le sable, puis le passe au tamis jusqu’à ce qu’il trouve la perle; lorsqu’il la trouve enfin, il jette les cailloux et prend la perle ».
Mais ici comme ailleurs, Rachi a pesé ses mots. Ce ne sont pas des répétitions. En un raccourci saisissant, il nous a légué trois enseignements pour comprendre l’histoire:
A) « HISTOIRES » ET « HISTOIRES »
Les guerres et les révolutions, les puissances économiques et militaires semblent dominer le monde. A côté d’Esaü le Magnifique, Jacob le Petit fait piètre figure. Dans les livres d’histoire, on ne lui consacre même pas un petit paragraphe. La vision de la Thora est différente nous enseigne Rachi: « les guerres qu’il (Esaü) a menées, les peuples qu’il a chassés » ne sont que des péripéties. Ce qui compte c’est « l’installation » de Jacob, les maisons d’études qu’il a fondées, les valeurs morales dont il était le défenseur. Ce qui est essentiel, c’est de savoir comment ses enfants seront porteurs de cet enseignement. C’est cela qui compte aux yeux de D-ieu, le sort de l’univers en dépend.
B) DAVID ET L’ETAT JUIF
C’est curieux, les exemples que Rachi apporte n’illustrent pas ce qui se passe dans notre Paracha.
En effet, Noé suit les générations qui vont de Adam jusqu’à lui-même. De même, Abraham est le dixième des dix générations qui commencent avec Noé, alors qu’avec Esaü et Jacob c’est différent: en un chapitre la Thora raconte l’histoire d’Esaü jusqu’à l’époque contemporaine de
David: « Voici les rois qui régnèrent sur Edom avant que ne règne un roi en Israël »[1]. C’est donc une histoire postérieure à celle de Jacob.
Par cette comparaison Rachi enseigne que la finalité de l’histoire de Jacob c’est David. S’il a fallu dix générations pour qu’apparaisse un homme de Bien, Noé, il faudra attendre dix générations pour qu’apparaisse un nommé Abraham qui sera capable d’être le père d’une famille, d’une histoire où ce qui compte est la justice et la morale. Mais il faudra attendre de longues générations encore pour que cette histoire aboutisse en une nation qui possède la Thora comme constitution, D-ieu comme guide. Jacob, père des douze tribus, commence donc un processus qui ne se réalisera complètement qu’avec David. C’est le roi David qui saura allier puissance et justice, c’est lui qui supplantera Esaü pour former ce « Mal’hout Hachem », cet Etat régi par les lois de D-ieu. Lorsque le verset dit: « Voici l’histoire de Jacob » Rachi nous enseigne qu’il faut comprendre « Voici l’histoire de l’Etat juif qui débute avec Jacob et s’affirmera avec David », David apparaissant après le dernier roi d’Esaü.
C) LE TAMIS
Malheureusement, le peuple juif lui-même ignore bien souvent le trésor dont il est possesseur. Il donne le meilleur de ses forces, de son énergie et de son intelligence pour toutes sortes de faux messianismes. Christianisme, marxisme et tous les autres « ismes » ont tous connus à leur tête des enfants du peuple juif. Aujourd’hui encore le peuple juif refuse de faire fonctionner son Etat avec les lois de la Thora.
Et finalement lorsque notre peuple aura tout essayé, qu’il aura expérimenté que tous ses « nouveaux » systèmes ne sont que des mirages, après avoir essuyé échecs après échecs, il réalisera que les idéologies qu’il avait embrassées n’étaient que des vulgaires cailloux, c’est alors seulement qu’il les jettera et s’emparera de la perle véritable. C’est donc d’expériences faites de rejets, que sortira la reconnaissance de la Thora.
C’est d’avoir enfoui notre perle dans le sable qui a rendu notre histoire si douloureuse. C’est lorsque nous la reconaitrons à nouveau que le Machia’h descendant de David pourra se révéler.
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[1] Genèse 36, 31