Vaera – Les miracles et la liberté
Rav Shaoul David Botschko
Après la guerre de 67, les autorités rabbiniques, et avec elles le Peuple juif tout entier, ont salué la libération de Jérusalem ainsi que des autres territoires de Judée et Samarie avec joie. Nous vivons en direct la réalisation des prophéties millénaires, dans lesquelles D-ieu promet ces terres-là au Peuple juif.
Certaines voix se sont élevées alors contre cette vision de l’Histoire, pressentant la gravité des problèmes qu’allaient causer à l’Etat juif les centaines de milliers de Palestiniens qui habitent cette région.
Après la guerre du Liban, de grandes autorités rabbiniques ont joint leur voix à ce mouvement d’idées, et notamment des directeurs de Yéchivoth réputées, dont les élèves servent dans les rangs de l’armée israélienne.
Paradoxalement c’est au moment où les Palestiniens traversent une des plus dures épreuves de leur histoire – même leurs amis arabes les ont abandonnés – que de telle voix se font entendre.
Il est possible d’éclairer ce paradoxe en avançant certaines hypothèses: pour la première fois depuis la création de l’Etat d’Israël, une guerre a eu lieu, non avec un Etat arabe, mais avec le peuple palestinien. On ne peut donc plus prétendre que les Palestiniens ne sont pas un peuple. On ne peut plus dire qu’ils peuvent exprimer leur identité à travers les nations arabes. Le fait même qu’ils aient été abandonnés par leurs frères arabes donne du poids à l’argument selon lequel ils sont une nation distincte.
Cette réalité, que certains envisageaient depuis longtemps déjà, s’est imposée à la conscience de ces mêmes autorités, qui ont perdu tant d’êtres chers dans cette Guerre. L’urgence d’une solution négociée s’impose donc. Une solution négociée passe nécessairement par un compromis.
Une des argumentations religieuses autorisant de se séparer d’une partie d’Erets Israël pour la paix est vraisemblablement basée sur le principe fondamental du judaïsme: l’homme doit lui-même prendre en charge son avenir; il n’a pas le droit d’attendre qu’un miracle vienne résoudre ses problèmes.
En effet, La Guémara[1] enseigne: « D’où sait-on que l’on ne doit pas s’appuyer sur des miracles? Samuel, lorsue D-ieu lui demande d’aller oindre David, répond: « Comment pourrai-je y aller ? Le roi Saül le saura certainement, et il me tuera. » Samuel n’a pas dit : « Puisque D-ieu le demande, je vais obéir, et D-ieu fera un miracle ».
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La grande histoire des miracles débute avec la sortie des juifs d’Egypte. Nous allons rapporter quelques versets qui nous indiquent quel est le sens de ces miracles, et tenter de comprendre quelle est la part de D-ieu dans l’histoire humaine, et quelles est celle qui incombe à l’homme.
D-ieu dit à Moïse[2] : « J’endurcirai le coeur de Pharaon, j’argumenterai mes signes et mes miracles dans le pays d’Egypte… Je sortirai mes armées, le peuple des enfants d’Israël, du pays d’Egypte avec de grands jugements, et tous les Egyptiens sauront que Je suis D-ieu, en étendant ma main sur l’Egypte et en sortant les enfants d’Israël de parmi eux ».
Au Chapitre 9, verset 14 : « Cette fois-ci je vais envoyer toutes mes plaies contre toi, contre tes serviteurs et contre ton peuple, afin que tu saches qu’il n’y a point comme moi qui domine la terre. Si je t’ai placé, c’est justement pour te montrer ma force et pour faire connaître mon nom sur toute la terre. »
Au premier verset du Chapitre 10 : « D-ieu dit à Moïse: « Vas chez Pharaon, car j’ai endurci son coeur et le coeur de ses serviteurs afin de mettre mes signes parmi eux, afin que tu racontes dans les oreilles de ton fils et de ton petit-fils que je me suis amusé de l’Egypte et de tous les signes que j’y ai mis. Et vous saurez que je suis D-ieu ».
Nous voyons donc qu’un des buts de l’intervention de D-ieu en Egypte était de montrer que c’est Lui qui est le Maître du monde et de l’Histoire. Tous les commentateurs abondent dans ce sens. Citons Ramban[3] : « Afin que tu racontes à tout Israël, aux générations futures, mon pouvoir, et que vous sachiez que je suis D-ieu, que je fais tout ce que je désire dans les cieux et sur la terre ».
Le rappel de ces miracles est un fondement du judaïsme. Tous les jours et toutes les nuits, nous devons nous en souvenir. Une fête entière leur est consacrée – Pessa’h – et tous les événements religieux, tel que le Chabbath et toutes les fêtes, sont en rapport avec la sortie d’Egypte. En chacune de ces occasions, nous disons: « En souvenir de la sortie d’Egypte ».
L’histoire de la sortie d’Egypte ne doit pas être comprise comme un moment isolé de l’Histoire, mais comme la source de nos devoirs envers D-ieu et notre acceptation de Lui et de Ses commandements. C’est pourquoi nous rappelons la sortie d’Egypte, dans la lecture du Chéma, en ces termes: « Je suis l’Eternel, votre D-ieu, qui vous a sorti d’Egypte pour être votre D-ieu ».
La sortie d’Egypte est mentionnée à nouveau dans la bénédiction qui suit la lecture du Chéma, cette fois pour nous enseigner que la sortie d’Egypte doit inspirer notre confiance en D-ieu tout au long de l’Histoire. Appuyons-nous sur ces versets: « Ces paroles sont vivantes, sont éternelles…pour toutes les éternités, pour nos ancêtres, pour nous, pour nos enfants, pour les générations suivantes, pour toutes les générations des descendants de Jacob Ton serviteur, pour toutes les générations qui ont précédé et pour les générations qui vont venir, c’est une chose bonne, qui dure pour l’éternité, une réalité, une fidélité, une loi qui ne peut être changée. Cette vérité est que Tu es notre D-ieu, le D-ieu de nos pères, notre Roi, le Roi de nos pères, notre Sauveur, le Sauveur de nos pères… » Et le texte continue: « Tu as aidé nos pères depuis toujours. Tu es le bouclier et le sauveur de nos enfants, après eux pour toutes générations ».
Ainsi, la sortie d’Egypte est montrée ici comme la source de la foi et la confiance en D-ieu, dont la parole est éternelle et valable constamment. Quels que soient les problèmes du Peuple juif, ceux-ci seront résolus sans que la parole et la promesse de D-ieu aient besoin d’être annulées ou même simplement restreintes.
L’objectif et les moyens
Il nous faut analyser maintenant l’obligation de ne pas s’appuyer sur les miracles, pour comprendre ainsi quelle est la part, dans la délivrance d’Israël, qui incombe à l’homme. Rappelons la Guemara citée plus haut: l’histoire de Samuel qui demande à D-ieu comment peut-il aller oindre David alors que Saül, s’il l’entend, va le tuer.
Comment comprendre ce texte? Si D-ieu en personne donne l’ordre à Samuel d’aller oindre David, comment peut-il penser se dérober à son devoir à cause des difficultés de l’entreprise? D-ieu lui a donc assuré protection s’Il lui a donné l’ordre d’y aller. Abraham, n’a-t-il pas obéi à D-ieu lorsqu’il lui a demandé de sacrifier son propre fils? Et nous savons tous que la mer ne s’est ouverte pour les enfants d’Israël que lorsque Nah’shon Ben Aminadav sauta dans les flots, témoignant ainsi de sa confiance en D-ieu. En effet, même si nous admettons que l’homme ne doit pas s’appuyer sur les miracles, ceci est valable lorsque le miracle n’est pas annoncé explicitement. Mais si D-ieu donne un ordre à un prophète, il n’a certainement pas le droit de se dérober à cause d’un danger.
En quoi consiste donc l’interdiction de s’appuyer sur les miracles? Examinons quelques exemples rapportés par le Talmud.
La Guemara[4] raconte qu’un homme avait demandé à son fils: « Grimpe sur cet arbre et accomplis le commandement de renvoyer la mère avant de prendre l’osillon ». Cet enfant obtempéra et accomplit simultanément les deux commandements pour lesqeuls la Torah explicite que leur observation est récompensée par une longue vie. Pourtant, le jeune homme se tua en descendant de l’échelle. La guemara explique que « l’échelle n’était pas solide et il est interdit de s’appuyer sur les miracles ».
Cette histoire montre qu’il faut faire la distinction entre les moyens qu’il faut mettre en œuvre pour accomplir la Mitsva et la Mitsva elle-même. Le jeune homme ne devait pas se dire: « Puisque j’accomplis la voloté de D-ieu, Il me protégera de tout danger ». .Non! Avanr d’accomplir le commandement, il est indispensable de contrôler la solidité de l’échelle.
Ne pas s’appuyer sur les miracles signifie que l’homme a le devoir de réfléchir comment atteindre le but fixé par D-ieu et non de fixer lui-même les objectifs.
Pour illustrer cette idée, citons le texte de Josué où D-ieu lui annonce qu’il va gagner la guerre contre la ville Aï. Le texte rapporte en détail la stratégie que Josué mit au point pour conquérir cette ville: combien d’hommes il employa, comment il les plaça et quelles ruses il utilisa. Josué ne renonce pas à attaquer Aï à cause des difficultés que présentait la prise de cette ville en prétextant qu’il ne faut pas s’appuyer sur les miracles, mais, malgré la promesse divine, il utilise toute son intelligence pour prendre cette ville.
De la même manière, lorsque Samuel demande à D-ieu: « Comment pourrais-je oindre David? Si Saül l’entend, il me tuera », D-ieu lui répond: « Va chez David et fais croire aux passants que tu vas faire un sacrifice. Ne crie pas sur tous les toits que tu vas oindre David ». En substance D-ieu lui répond: Respecte l’ordre que Je t’ai donné, mais cherche les moyens d’amoindrir le danger. Vraisemblablement que Samuel lui-m^me n’avait jamais remis en question l’ordre de D-ieu. Il voulait savoir simplement de quelle manière il devait se rendre chez David. Fallait-il le faire publiquement ou discrètement.
Aussi, dans l’Histoire du Peuple juif, les objectifs sont-ils inscrits dans la Torah. Il n’est pas en notre pouvoir de les modifier. Notre devoir est de réfléchir aux moyens d’atteindre ces objectifs et d’agir en conséquence.
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[1] Kiddouchin 39a
[2] Exode 7, 3 et suiv.
[3] Chapitre 10, verset 1
[4] Kiddouchin 39 b