Vaera – Les 4 coupes du Seder et les 4 délivrances
Rav Nahum Botschko
La paracha de Vaera commence par le récit de la mission assignée par Dieu à Moïse ; il doit transmettre aux Hébreux asservis en Égypte un message circonstancié (Chémoth vi, 6-7) :
Je suis Hachem, et Je vous ferai sortir de dessous les charges de l’Égypte, et Je vous sauverai de leur servitude, et Je vous délivrerai par un bras tendu et de grands jugements et Je vous prendrai pour Moi comme peuple et Je serai pour vous Dieu.
Le traité Pessahim du talmud de Jérusalem (chap. x, halakha 11) rapporte : « on a demandé : quelle est l’origine des quatre coupes de vin de Pessah ? Rabbi Yohanan a enseigné : en relation avec les quatre délivrances, et Je vous ferai sortir, et Je vous sauverai, et Je vous délivrerai, et Je vous prendrai.
Le rav Baroukh Halévy Epstein, auteur du Thora Témima, explique : nous sommes ici en présence de quatre sujets différents ; il s’agit en fait de quatre étapes essentielles dans le processus de la délivrance. En rapport avec chacune d’elles, nous buvons quatre coupes de vin le soir du Séder.
1. Allégement du poids de la servitude
2. Libération de la servitude elle-même
3. Fin de l’asservissement
4. Acquisition du peuple d’Israël par Dieu pour être Son peuple
Or, on le sait, au verset 8 apparaît encore une étape de délivrance : « Je vous amènerai à la Terre… » Pourquoi ne buvons-nous pas une coupe en relation avec une étape d’une telle importance ?
L’ auteur du Thora Témima répond (contemporain de la situation d’exil en Europe[1]) :
« Étant actuellement en exil, la Terre étant livrée aux mains d’étrangers, il est impossible de lever une coupe à ce propos. »
Extraordinaire !
Selon lui, de notre temps, nous qui vivons le temps de la délivrance sur notre terre rendue à notre souveraineté, nous devrions boire la cinquième coupe pour vivre pleinement en harmonie avec notre époque.
Le traité Pessahim traite à la page 108a de l’obligation d’être accoudé pour boire les coupes de vin. Il rapporte un enseignement de rav Nahman dont il existe deux versions ; l’une expose l’obligation d’être accoudé pour boire, l’autre affirme que ce n’est pas nécessaire.
La guémara explique qu’il n’y a pas divergence entre les deux thèses, la première se rapportant aux deux premières coupes et la deuxième aux deux autres. Mais, s’interroge la guémara, doit on être accoudé pour les deux premières coupes, ou bien est-ce précisément pour les deux autres qu’il faut l’être – et des arguments existent pour chacune de ces thèses :
Les deux premières coupes doivent être bues accoudé : « c’est maintenant que commence la liberté, mais pour les dernières coupes il n’est pas nécessaire d’être accoudé car ce qui a été, a été. »
Les deux dernières coupes doivent être bues accoudé : « c’est maintenant que la liberté s’accomplit, mais lors des premières coupes il n’est pas nécessaire d’être accoudé, puisqu’aussi bien nous étions encore asservis, disant « nous étions esclaves en Égypte » ! »
Quelle est la cause profonde – et la signification – de cette controverse ?
Selon la première thèse, l’essentiel tient à l’étincelle initiale de la délivrance. Bien qu’encore asservis de fait ; lorsque la délivrance s’accomplit, ce n’est « que » la réalisation de ce qui déjà était impliqué de l’impulsion première. Nous adoptons l’attitude de liberté – être accoudé – pour les premières coupes pour souligner que c’est précisément le commencement du processus qui est déterminant.
La deuxième thèse tient que, aussi longtemps que les événements ne se dévoilent pas concrètement dans toute leur ampleur, on ne peut pas encore se sentir libres et en exprimer notre reconnaissance à Dieu, puisque nous sommes en réalité encore asservis. L’accoudement, expression de notre sentiment de pleine liberté, n’est possible vraiment que lorsque la délivrance est pleinement accomplie.
Et tout cela étant dit, qui donc a raison ?
La guémara conclut : « et maintenant qu’il a été dit comme ceci et comme cela, les unes et les autres (coupes) requièrent accoudement ! » Nous devons nous accouder pour boire et les deux premières coupes et les deux dernières car les deux thèses ont toutes deux raison. Il nous faut être capables de pressentir et de reconnaître les prémices de la délivrance, et de nous en réjouir et de manifester notre gratitude à Dieu et notre certitude que l’avenir confirmera l’espérance du présent ; et il nous faut être capables aussi de ne pas nous montrer comme blasés lorsque s’épanouit la délivrance dont nous avons vécu les premiers bourgeonnements.
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[1] Né en 1860 à Bobroysk en Russie, il était le neveu du rav Naftali Zvi Yéhouda Berlin, le directeur de la célèbre yéchiva de Volozhyn dont il fut lui-même un élève prestigieux ; mort en 1942 à Pinsk dans la tourmente de la Choa. Il a donc été aussi contemporain des débuts du sionisme et de l’établissement pionnier en Eretz Israël (NdT).