Tsav – les sacrifices, la Thora et le Prophète Jérémie
Tsav – sacrifices et sacrifices : la Thora et le Prophète Jérémie
Rav Shaoul David Botschko
Ainsi parle Hachem, D ieu des Armées, D ieu d´Israël : Jusqu´à quand allez vous offrir sacrifices sur sacrifices et en manger la chair ! Car Je n´ai rien dit, rien ordonné à vos ancêtres le jour où Je les ai fait sortir d´Egypte en fait d´holocaustes et de sacrifices. Mais voici, l´ordre que Je leur ai adressé : « Ecoutez ma voix et Je serai votre D ieu et vous serez Mon peuple ; suivez en tout point la voie que Je vous prescris, afin d´être heureux » .
Jérémie semble remettre en question l’origine divine des sacrifices. Pourtant, la Thora y consacre presque un livre entier, le Lévitique ?
Le grand Rabbin Zadoc KAHN, dans sa traduction de la Bible a ajouté une note à la traduction de ce verset et tente de répondre à notre interrogation :
« Jérémie, comme les autres prophètes, attribue aux prescriptions mosaïques relatives aux sacrifices une importance moindre qu’aux lois morales de la Tora et notamment du Décalogue ».
Pour Zadoc KAHN, Jérémie ne remet pas en cause les sacrifices eux mêmes. Il se contente d’en relativiser l’importance. Les sacrifices n’ont pas de sens lorsque les lois morales qui sont à la base de la société ne sont pas respectées. Il ajoute encore une idée importante tirée du commentaire de Rabbi David Kimhi. La Bible elle même a mis en avant la fidélité à l’Alliance et aux valeurs de base du judaïsme, car dit il, on ne mentionne pas les sacrifices parmi les dix commandements ni parmi les lois que le peuple juif reçut à Mara juste après la sortie d’Egypte.
En relisant le texte de Jérémie, on reste toutefois songeur ; il semble condamner sans nuances les sacrifices. Il nie même que D ieu en ait mentionné l’idée lors de la sortie d’Egypte. Ce fait, historiquement, ne correspond pas à la réalité. En effet, les hébreux, pour sortir d’Egypte, durent offrir l’agneau pascal. Moïse, d’ailleurs ne demandait il pas à Pharaon de laisser partir les Juifs pour offrir des sacrifices au Seigneur ?
LE SENS DU SACRIFICE
Qu’est ce donc qu’un sacrifice ? A priori, il semblerait que sacrifier un animal soit un acte matériel. Par rapport à la prière qui est le service par la Parole, les holocaustes sont une réalité physique : il s’agit d’un animal que l’on doit abattre, dont on asperge le sang sur les parois de l’autel et sur lequel les membres sont consumés la nuit durant.
Et pourtant, l’étude de ces lois dans la guemara montre, que pour les sacrifices plus que pour tout autre commandement divin, l’essentiel se trouve dans l’intention. En effet il existe une règle générale appliquée à toute la Thora : « les pensées du coeur non exprimées n’ont pas de valeur », c’est à dire que la volonté d’un homme qui n’est pas exprimée par une action ou au moins par une parole n’a pas de valeur juridique. Il y a une exception à ce principe : il s’agit des lois qui régissent les sacrifices.
Ceux ci ne sont pas acceptés par D ieu si celui qui l’offre avait une intention contraire à la Halah’a. Il y a deux intentions qui rendent un sacrifice impropre :
– celle de le manger en dehors du temps prescrit par la Tora, un ou deux jours selon le sacrifice
– celle de le manger en dehors du lieu prescrit par la Tora, l’enceinte du Temple.
Par exemple, si le prêtre, au moment de l’immolation ou de l’aspersion du sang ou encore au moment où il porte les membres sur l’autel, avait l’intention de manger le sacrifice trois jours plus tard ou de le manger à Tel Aviv, le sacrifice ne sera définitivement plus valable. Il n’aura même plus le droit de le manger dans le temps imparti ou dans l’enceinte du Temple[1].
Cette loi montre, que malgré les apparences, les sacrifices sont une haute expression des sentiments les plus élevés envers D ieu. Apporter un sacrifice, c’est éduquer sa volonté, c’est purifier son coeur ; le consommer dans la sainteté du Temple, c’est affiner les sens.
Le Temps et l’Espace, ces deux paramètres fondamentaux du judaïsme, sont élevés par le sacrifice. Le temps du Korban est le temps fixé par celui qui apporte l’offrande ; mais une fois l’offrande apportée, ce temps ne lui appartient plus. Ce temps personnel devient ainsi un temps divin. L’Espace : il s’agit de Sion, le lieu par excellence. C’est l’endroit unique où l’homme peut offrir un sacrifice au Tout Puissant. La sainteté du lieu ne dépend pas de l’homme ; c’est le Tout puissant qui a choisi Sion pour en faire Sa Demeure. Par le sacrifice, il peut s’approcher de D ieu en s’approchant de ce lieu unique, dont l’unicité symbolise l’unité de D ieu ; mais ce lieu, D ieu l’a choisi sur terre, délivrant ainsi un message essentiel : le D ieu Un est accessible, Son Endroit devient celui de l’homme qui L’approche.
Lorsque les hébreux apportèrent l’agneau pascal à la date fixée, ils manifestèrent qu’ils avaient compris que le temps de l’histoire appartînt à D ieu. Lorsqu’on permit à cette horde d’esclaves de s’approcher de D ieu en se rassemblant pour Lui offrir des sacrifices, on affina leur sens en les élevant. Eux qui n’étaient bons qu’à travailler jusqu’à l’extrême limite de leurs forces physiques, leurs mains ne connaissant que le travail de la terre, leurs narines l’odeur des usines, voici qu’ils sont appelés à devenir les importants personnages dont D ieu lui même va recevoir les offrandes.
Ce sentiment de soumission devant le Tout Puissant, Maître de l’histoire naît dans le coeur du sacrificateur qui doit s’engager de respecter les temps de consommation du sacrifice. Les sentiments exaltants de proximité naissent lorsque grâce à l’intention, on peut pénétrer dans l’endroit le plus sacré de la terre.
Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi, au temps de Jérémie, les sacrifices avaient perdu leur sens originel : « manger la chair » en était devenu le but essentiel. Sacrifier n’était plus qu’un geste physique dénué de toute spiritualité. Parfois même, cela devenait des actes magiques, les hommes imaginant qu’ils pouvaient acheter D ieu par leurs sacrifices et après l’avoir ainsi apaisé et s’être donné bonne conscience, rajouter des vices nouveaux aux vices anciens. Ce sont ces sacrifices là que D ieu n’avait jamais demandé et qu’Il réprouvait.
Le sacrifice que D ieu agrée est celui qui témoigne de la vitalité que l’homme confère à ses actes par l’élévation de ses intentions.
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[1] Lévitique 7, 16 à 18 selon le commentaire de Rachi