Michpatim – Toutes les lois sont du Sinaï
Rav Nahum Botschko
« Et voici les lois que tu placeras devant eux. » Rachi enseigne : « Et voici » rajoute aux précédentes. De même que celles-là sont du Sinaï, celles-ci aussi sont du Sinaï. L’objectif de Rachi est de vider de toute possibilité de signification la thèse qui voudrait que les Dix commandements, dans la grandiose majesté de leur Révélation, soient l’essentiel de la Thora. Faux ! Toutes les lois, jusqu’au plus infime détail, que la Thora égrène tout au long de la paracha de Michpatim sont d’égale dignité avec ce qui a été dit lors de l’événement du Sinaï.
Ce point est si important que Rachi l’a choisi comme introduction à son commentaire sur la paracha. Abravanel s’est lui aussi longuement étendu sur la manière dont chacun des Dix commandements trouve son prolongement et son développement dans la paracha de Michpatim. Pour lui, le principe législatif fondamental est résumé dans les Dix commandements, les nombreux éléments qui en sont les constituants étant détaillés dans la paracha de Michpatim.
Prenons par exemple le commandement : « tu n’assassineras point. » Notre paracha énonce : « qui frappe un homme et qu’il meure », faisant la différence entre le meurtre par inadvertance et meurtre prémédité. « Qui frappe son père ou sa mère » est considéré comme un assassin puisque la peine qu’il encourt est la peine de mort. « Et si un homme frappe son esclave et qu’il meure sous sa main » est aussi une disposition appartenant au domaine du meurtre.
À propos de « tu ne voleras point » : tous le domaine des dommages portant atteinte à la propriété du prochain y sont inclus. « si un homme creuse une fosse et qu’y tombe un bœuf ou un âne », « si un homme vole le bœuf de son prochain », « si un homme met le feu à un champ ou à une vigne », etc.
« Évoquer le jour du chabbat pour le sanctifier. » le chabbat appartient au domaine de la chémita, qui au terme de la sixième année impose une « jachère » d’un an, analogue aux « six jours tu feras tes œuvres et au septième jour, tu cesseras ».
Abravanel prouve encore que l’exposé, dans notre paracha, des détails constitutifs de chacun des Dix commandements se fait dans l’ordre. Le début de la paracha traite des lois cinq derniers et elle traire ensuite des cinq premiers.
Il en est bien sûr qui objecteront à Abravanel, faisant valoir que son interprétation n’est pas exclusive, et qu’il existe des mitzvoth qui n’entrent pas sous l’un ou l’autre des Dix commandements. Ils affirmeront que la relation qu’il établit relève davantage de l’association d’idées que de la déduction logique. Sans prétendre trancher dans ce débat, on peut dire sans doute que le principe général de son approche et l’idée fondamentale qui la sous-tend sont admis par tous.
C’est en effet un grand principe du judaïsme qu’on ne peut pas reconnaître la valeur d’un principe, reconnaître une valeur morale, sans se soumettre, dans la conduite, aux lois et règles qui en découlent. Une conception contraire est inappropriée et elle ne pourrait d’ailleurs pas se maintenir longtemps dans la réalité. Un ami m’a raconté naguère qu’il avait une fois décidé de cesser totalement de pratiquer les mitzvoth ; mais comme il appréciait énormément la notion de chabbat, il avait décidé aussi de ne pas travailler ce jour-là, sans toutefois obéir à toutes les prescriptions y afférentes. Nous nous sommes rencontrés deux ou trois mois plus tard, et je lui ai demandé s’il continuait de s’abstenir rigoureusement le chabbat de toute activité assimilée au travail. En quelques balbutiements, il a avoué que non.
De même que la vie de couple ne s’épuise pas dans des abstractions théoriques, en idéaux généreux non intégrés dans la vie concrète, mais se construit par quantité de petits détails, de la même manière, notre relation avec le Maître du monde recèle, certes, des valeurs importantes, centrales, mais qu’il faut faire descendre sur terre, dans le monde concret des actes et des conduites sans lesquels ces valeurs finissent par s’évanouir. Au long des jours d’exil nous en avons été témoins : n’ont résisté à l’usure du temps et des tourmentes que ceux qui se sont fermement tenus à tous ces détails apparemment infimes qui, par leur cohérence, ont maintenu intacte l’identité d’Israël.
Traduit par Rav E. Simsovic