Metsora – Les objets vivants
Rav Shaoul David Botschko
« Lorsque vous viendrez dans le pays de Canaan que Je vous donne comme
possession, Je mettrai une plaie lépreuse dans les murs d’une maison … »[1].
Dans la Paracha de Tazria ainsi qu’au début de notre Paracha, la Thora parle longuement des différentes Tsaraat,sortes de maladies qui ressemblent à la lèpre et qui atteignent les hommes. Selon la tradition, ces maladies étaient une punition que D-ieu envoyait aux hommes qui s’étaient rendus coupables de médisance.
HORS DE LA MAISON
Ici, on nous parle de maisons malades. Pour quelles fautes commises par les hommes D-ieu rend il malades leurs demeures ?
Nos sages répondent que c’est pour punir de l’avarice. Celui qui se refuse de prêter ses biens, qui prétend toujours qu’il n’a rien qui puisse être partagé, devra finalement sortir tout ce qu’il possède et les exposer aux regards de ces voisins. En effet, pour que les objets de la maison ne deviennent pas impurs, le propriétaire devait les sortir:
« Le prêtre ordonnera de débarrasser la maison de ce qu’elle contient avant qu’il ne vienne examiner la plaie, afin qu’il ne rende pas impur tout ce que la maison contient. (En effet, une fois que le prêtre avait déclaré la maison impure, tout ce qu’elle contient le devenait également) »[2].
Cette plaie vient donc éduquer l’homme à être capable de se détacher de ses biens matériels, détachement nécessaire pour développer les qualités de générosité.
LE PARADOXE
Pourtant, une Michna de Negaïm propose un regard bien plus positif envers les objets. Cette Michna s’interroge sur la raison pour laquelle le prêtre doit ordonner de débarrasser la maison de ses objets. En effet, juridiquement, cette action ne semble pas nécessaire, car même si le prêtre rendait impure la maison et ce qu’elle contient, cela ne porterait pas à conséquence; en effet il est toujours possible de purifier les objets en les trempant dans un Mikvé (bain rituel).
Aussi, conclut-elle, cet ordre n’est nécessaire que pour les objets en terre cuite qui eux ne peuvent pas redevenir purs, un verset enseignant que les objets d’argile rendus impurs doivent être brisés. Ces objets étaient en général de menus récipients qui n’avaient que très peu de valeur. La Michna en tire une leçon :
« Quels sont les objets que la Thora a voulu épargner : ce sont des cruches et de menus récipients en argile.
Si la Thora veut épargner ainsi des biens de petite valeur, à plus forte raison qu’elle donne de l’importance aux objets auxquels l’homme est attaché.
Si elle protège ainsi les biens matériels de l’homme, à plus forte raison qu’elle tient à la vie de ses fils et de ses filles.
Si elle agit ainsi envers les biens d’un méchant (un avare !), à plus forte raison qu’elle est vigilante pour les biens d’un juste »[3].
Quel paradoxe ! Du même verset, on apprend la gravité de l’avarice et le grand prix qu’il faut attacher aux objets matériels les plus quelconques ! La Thora exige que l’on sorte les biens de l’avare à la fois pour le punir de son égoïsme et à la fois pour lui éviter de les perdre !
LE LIEN
La Thora enseigne ici qu’un lien profond lie l’homme à ses choses et elle reconnaît dans ce lien une valeur. Un homme ne peut vivre sans être entouré par des objets matériels. Sans eux il est comme un être dépouillé et nu. Sans le pouvoir de manipuler des choses, il ne peut porter son empreinte sur rien.
Aussi, la marque d’un homme dans ce monde se trouve-t-elle justement dans sa faculté de donner des formes; par exemple il donne une vie à son intérieur grâce aux meubles et à tous les menus objets qui font sa vie quotidienne qu’il choisit avec soin et qu’il place avec goût.
C’est ainsi que le juste, plus encore que le méchant, est lié aux objets, car la vie du juste est intense; il est un juste justement parce qu’il rayonne et influe tout ce qui l’entoure.
L’avare est celui qui ne sait pas saisir la dimension cachée qui se dissimule derrière les formes. Il jouit et consomme, les choses n’ont d’importance que par rapport à lui même et à la satisfaction de ses besoins. Ce qui l’entoure n’existe pour lui qu’en tant qu’excroissance de sa propre personne.
L’amener à sortir ses objets de sa maison est bien plus qu’une punition. C’est lui donner l’occasion de se réhabiliter. Il livre ses objets aux regards des autres. Il prend conscience ainsi que tout comme l’homme ne peut vivre sans objets, il ne peut exister sans proches, amis et camarades avec qui il puisse communiquer. En livrant aux autres ce qu’il essayait de dissimuler, il quitte sa solitude et rencontre autrui.
Paradoxalement, c’est en donnant de l’importance aux objets, c’est à dire un sens, qu’il s’ouvre à la générosité.
NOS ANCETRES ET LES OBJETS
Nous pouvons ainsi comprendre un des passages les plus difficiles de la Genèse : « Jacob resta seul » dit le texte et Rachi interprète qu’il avait quitté les siens pour chercher des petites fioles qu’il avait oubliées !
Jacob n’était pas cupide, mais il considérait chacun de ses biens comme un cadeau de D-ieu. Il utilisait tout ce qu’il avait pour servir le Tout-Puissant. Il ramenait les objets, vréation de l’homme, vers leur véritable Créateur. Il ne pouvait donc pas se permettre d’oublier ses fioles.
De même, nos ancêtres, lorsqu’ils quittèrent l’Egypte, eurent l’obligation d' »emprunter » les objets de leurs voisins les egyptiens. Le texte témoigne : « Ils dépouillèrent l’Egypte » comme
D-ieu le leur avait demandé.
L’Egypte était le peys qui avits transformé les hébreux en choses. Les hommes étaient devenus des esclaves qui n’avaient de l’importance qu’au travers de leurs capacités de production.
Si les égyptiens ont rendu les hommes objets, le devoir des hébreux sera personnifier les objets.
Ils sauront être à la hauteur de leur tâche : c’est avec leurs dons que le Michkane sera construit.
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[1] Lévitique 14, 34
[2] Lévitique 14, 36
[3] Negaïm, chap. 12, Michna 8