Kora‘h – « Moïse entendit et tomba sur sa face »
Rav Nahum Botschko
Moïse fait l’objet d’une agression violente. Qora‘h a rassemblé autour de lui un grand nombre de notables et met en question le leadership de Moïse et d’Aharon : « ils leur dirent c’en est trop pour vous ! Toute la communauté, tous sont saints, et Hachem est au milieu d’eux ; pourquoi donc vous élèveriez-vous au-dessus de l’assemblée ? » (Nombres XVI, 3)
Comment Moïse réagit-il en entendant ces propos ? « Moïse entendit et il tomba sur sa face » (Ibid., verset 4). Ce n’est qu’ensuite qu’il répond à Qora‘h et aux siens. Que signifie donc « il tomba sur sa face » ? Les commentateurs ont proposé plusieurs explications.
– Rachi : Moïse est tombé sur sa face car il a été atterré par cette nouvelle révolte.. S’agissant de la quatrième faute dans le désert (après le veau d’or, les frondeurs et les explorateurs), Moïse ne sait plus comment il pourra encore protéger le peuple devant la punition divine qui ne saurait tarder. – Rav Saadia Gaon : Moïse tombe sur sa face afin que la Présence divine repose sur lui pour pouvoir entendre ce qu’Hachem lui dicterait comme conduite à prendre. – Hizqouni : Il est tombé sur sa face de honte et aussi pour prier Hachem. – Or Hahayyim : afin de montrer son extrême humilité et se faire égal à la poussière de la terre et comme un serviteur qui se prosterne devant la puissance – soit une attitude d’humilité et de soumission à l’égard de l’assemblée de Qora‘h.
De quelque manière qu’on choisisse d’interpréter l’attitude de Moïse, on peut voir que sa réaction n’est pas la réaction habituelle en pareille circonstance. Tout un chacun se serait immédiatement mis en colère. Nous nous serions attendu de la part de Moïse à une répartie immédiate aux prétentions de l’assemblée de Qora‘h se dressant contre lui..
Mais pas Moïse. Moïse entend et, sans plus attendre, il se jette sur sa face. Il fait halte. Il considère et comprend ce qui se passe, il prie et
demande l’inspiration prophétique, la Présence divine ; il est soucieux de l’avenir d’Israël, se préoccupe de son retour devant Hachem et prend une attitude d’humilité et de soumission. Ce n’est qu’alors que Moïse se redresse et répond à l’assemblée de Qora‘h les paroles dictées par Dieu. Nous avons à en apprendre un principe important pour notre propre comportement : ne jamais réagir immédiatement lorsque nous avons été froissé ou irrité. Une telle réaction n’est jamais mesurée et sera la plupart du temps inadaptée.
Il nous faut marquer un temps d’arrêt, nous calmer, considérer le comment et le pourquoi ; il nous faut nous souvenir de ce que le vis-à-vis qui s’oppose à nous est aussi créature du même Dieu unique et porteur comme nous du dessein de Dieu. Il nous faut demander à Dieu de nous guider et, alors seulement, nous pourrons réagir. Ce n’est qu’à cette condition que notre réaction sera juste et mesurée. Ce principe s’applique à toutes les situations de relation, qu’il s’agisse de relation de travail entre employeur et employé, au sein du couple, entre voisins et même entre parents et enfants.
Rabbi Mochè Hayyim Luzzatto cite dans son Sentier de rectitude la sentence des Sages (Houlin 89a) : « Il suspend la terre sur le néant [belima] (Job XXVI, 7) – le monde ne subsiste que par le mérite de celui qui freine [bolem] sa bouche au temps de la dispute ». Il explique qu’il s’agit d’une situation ou l’on s’est déjà excité et qu’on parvient à se maîtriser et à freiner sa langue. Et d’ajouter que même dans une situation de mitzva, telle que l’éducation des enfants ou des élèves, la colère qui leur est présentée doit être « la colère du visage et non celle du cœur », c’est-à-dire qu’il faut donner l’apparence de la colère pour être écouté, mais rester calme intérieurement.
Il est bien sûr facile de lire ces choses dans un traité de morale, d’en faire le sujet d’un article et même de les prononcer à haute voix, mais autre chose est d’agir en conséquence ; cela demande bien des efforts de courage et de volonté. Puissions-nous être en cela aussi les disciples de Moïse notre maître et savoir, lorsqu’on nous agresse, « tomber sur nos faces » et attendre quelques instants.
Traduit et adapté par Rav E. Simsovic