Kora’h – Le libre arbitre
Rav Nahum Botschko
Notre paracha fait état des troubles provoqués par Qorah dans la société hébraïque.
Au début de la paracha, lorsque la Thora nous présente le personnage de Qorah, elle nous donne sa généalogie : « Qorah fils de Yitzhar fils de Qehat fils de Lévi. » Et se pose la question de savoir pourquoi la Thora a jugé nécessaire de mentionner les noms de ses pères ? Sa conduite néfaste n’est-elle pas une disgrâce pour eux !?
Le Talmud (Sanhédrin 109b) rapporte la manière dont Réch Laqich interprète ce verset : « Qorah (dont la racine du nom évoque la calvitie) – parce que sa conduite a creusé un fossé en Israël ; fils de Yitzhar (dont le nom évoque le midi par assonance) – parce que sa conduite a fait bouillir le monde entier contre lui comme la chaleur du plein midi ; fils de Qehat (dont le nom évoque l’agacement des dents) – parce qu’il a fait grincer les dents de ces parents ; fils de Lévi (dont le nom signifie « l’accompagnateur ») – parce qu’il est devenu compagnon de la Géhenne. » Ce qui fait apparaître clairement que son opprobre rejaillit sur ses ancêtres et ses parents !
Rabbi Hayyim ben Attar, le Or HaHayyim Haqadoch, explique que cette généalogie peut être lue autrement et qu’on peut en voir les étapes d’engendrement comme des embranchements : la sainteté s’est transmise d’Abraham à Isaac et à Jacob. De Jacob, elle s’est subdivisée en douze branches qui sont les douze tribus. La branche de Lévi a donné à son tour trois embranchements : Gerchon, Qehat et Mérari. La branche de Qéhat a eu quatre rameau : Amram, Yitzhar, Hevron et Ouziel et Yitzhar a eu Qorah. Avant la faute, la branche de Qorah et son origine étaient pures et sa généalogie pouvait être évoquée positivement : fils de Yitzhar – qui éclairait le monde comme le soleil de midi ; fils de Qehat – qui faisait grincer les dents de tous ceux qui voyaient sa grandeur et sa valeur. Fils de Lévi – qui s’est attaché au Saint béni soit-Il depuis le jour de sa naissance. Lecture en tous points à l’opposé de celle de Réch Laqich ! La conduite de Qorah a provoqué le dépérissement de la branche de Lévi jusqu’à lui.
En effet, notre conduite influe sur nos aïeux en bien ou en… moins bien. Il n’est pas de notre propos de développer ici ce qui pourrait passer pour une lecture « mystique » ; ceux qui souhaitent en savoir plus peuvent se reporter au commentaire du Or HaHayyim.) Toutefois, nous apprenons de là une chose formidable : Qorah pouvait continuer la lignée de ses pères et y ajouter un rejeton de valeur. Mais il a choisi de mal faire et sa conduite a été à ce point néfaste qu’elle exprime ses conséquences même à rebours dans les noms de ses pères.
Qorah était libre : il maîtrisait totalement la destinée qu’il allait se choisir.
Nous trouvons dans le midrach Tanhouma (Tazria 8) une idée similaire : on y lit que sur le bâton de Moïse étaient gravées les initiales des Dix plaies telles que nous les énonçons dans la Haggada de Pessah, DETZAH-ADACH-BEAHAV. Moïse regardait le bâton et voyait quelle plaie devait s’abattre sur Pharaon. Le rav Freiman[1] explique à ce sujet : le sens dans lequel chacune de ces initiales finirait par se déployer dépendait des Egyptiens. S’ils choisissaient de bien faire plutôt que de s’acharner contre Israël et d’empêcher sa délivrance, la lettre qui est à l’initiale de « sang » pouvait s’avérer être celle-là même qui annonce santé ou sainteté.
Chacun, et chaque société, peut s’autodéterminer et choisir librement entre le bien et le mal sans qu’aucune force puisse contraindre dans un sens ou dans l’autre. Beaucoup s’interrogent : Pourquoi y a-t-il tant de mal dans le monde ? L’une des réponses consiste à dire que si le mal n’était qu’une éventualité théorique, si les guerres les plus cruelles, les génocides, les tortures et les malfaisances les plus diverses n’étaient que virtualités hypothétiques, il n’y aurait pas place pour récompenser la vertu d ceux qui, individuellement ou collectivement, font le choix du bien contre le mal. De même que Qorah pouvait choisir d’être fils de Yitzhar qui éclaire le monde comme le soleil de midi plutôt que fils de Yitzhar qui fait bouillir le monde entier contre lui comme la chaleur du plein midi.
Beaucoup s’insurgent, surtout parmi les plus jeunes, contre le fait qu’il soit si difficile de suivre de nos jours la voie de la Thora. Les tentations et les séductions qui nous entourent sont si prenantes, si omniprésentes, qu’il est devenu « impossible » de leur échapper ! La permissivité de la société ambiante a quasiment supprimé la notion même d’ »interdit », rendant légitime tout ou presque encore considéré il n’y a guère comme perversité ou immoralité. Mais au contraire, l’envergure de notre génération est telle qu’il lui est donné de se mesurer aux problèmes les plus graves afin de les résoudre, et ce non par habitude nonchalante confrontée à des insignifiances quotidiennes mais par des actes de volonté qui requièrent une vigilance et une détermination toujours en alerte. L’humanité de l’homme se manifeste au niveau de sa liberté qui le distingue de l’animal. Et plus l’homme est homme et plus les problèmes qui se posent à lui sont plus aigus et plus il réalise, concrétise, en s’y confrontant, les virtualités d’humanité qui sont en lui et c’est là sa récompense.
Citons, pour conclure, l’enseignement de rabbi Mochè Hayyim Luzzatto dans son ouvrage Daat Tévounoth (Éd. Friedlander §124 page 105) concernant « l’utilité du mal » : « l’essentiel de l’épreuve que provoque le fait que le Seigneur voile Sa Face (c’est-à-dire que le mal soit réellement possible) consiste à vérifier si les hommes se maintiendront dans leur foi… et c’est un grand avantage procédant de l’occultation de la perfection suprême. Il a laissé place au pouvoir du mal d’obscurcir la face du monde au titre d’une telle épreuve. Rend-toi compte dès lors à quel point seront précieux à Ses yeux les justes qui auront surmonté une telle épreuve et quel salaire leur sera versé à l’avenir pour prix de leurs services.
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[1] L’un des maîtres de la Yéchiva Hékhal Elyahou qui enseigne aussi au Makhon Méir.