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Kippour : Alimentation d’un malade le jour de Kippour

Kippour : Alimentation d’un malade le jour de Kippour

Rav Shaoul David Botshko

 

Le jour de Kippour est une « fête » bien particulière et exigeante, en particulier à cause du jeûne ; mais c’est un jour empreint d’une grande spiritualité où le jeûne vient souligner l’effort de nous dégager pour un temps de nos préoccupations matérielles pour vivre un peu au-delà. Cette « fête » est l’une des plus respectée du calendrier juif et un très grand nombre de personnes jeûnent, qui ne pratiquent pas nécessairement toutes les mitzvoth.

L’objet de cet article est de mettre de l’ordre dans les règles concernant les malades et les personnes pour qui le jeûne risque d’être plus particulièrement pénible. Ont-ils le droit de ne pas jeûner et dans quelles conditions ? Comment doivent-ils se comporter ?

Le jeûne de Kippour est une obligation rigoureusement impérative. Il s’impose à la fois par un commandement positif et par un commandement négatif : le devoir de jeûner et l’interdiction de manger. Cette double formulation renforce l’importance de cette mitzva.[1]

Le fait de manger – de ne pas jeûner – à Yom Kippour est sévèrement sanctionné : cette personne sera retranchée de son peuple ; c’est une peine de mort infligée par la Providence aux conséquences gravissimes.

Toutefois, malgré la sévérité de ces dispositions, il est des personnes qui ont le droit de manger à Yom Kippour et dirait-on même l’obligation de se nourrir. Cet article traitera des règles s’appliquant au malade et des modalités par lesquelles le manger et le boire sera autorisé.

De nombreuses publications font état, à l’approche de Kippour, de quatre mises en garde :

  1. Avant de permettre de manger, il faut consulter un rav spécialisé dans ces questions.
  2. L’autorisation de manger est réservée aux cas où la vie du malade est réellement en jeu, c’est-à-dire que s’il ne mange ou ne boit pas, il risque de mourir.
  3. On ne peut adopter une attitude permissive pour manger ou boire avec mesure (voir ci-dessous) car l’interdit n’est pas d’origine rabbinique mais de la Thora elle-même.
  4. Boire « avec mesure » signifie prendre une pleine gorgée (à peu près 40 cm3) toutes les 9 minutes, ce qui correspond à l’expression talmudique « le temps de manger un prass», soit une quantité équivalent au volume de quatre œufs.

En réalité, ces quatre dispositions ne font pas l’unanimité des décisionnaires et ne sont pas prescrites comme telles par la halakha. Elles expriment des ‘houmroth, c’est-à-dire des conduites de sévérité accrue qui ne doivent pas être imposées à tous comme s’il s’agissait de la règle commune voulue par la Thora.

  1. L’avis d’un rav n’est pas indispensable pour permettre de manger ou de boire.
  2. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait danger de mort pour permettre de manger ou de boire ; il suffit qu’il existe un risque d’aggravation ou de détérioration de l’état de santé du patient.
  3. L’application des « mesures » transforme la consommation en interdit sans gravité.
  4. Boire avec mesure ne requiert pas un délai de 9 minutes. Quelques secondes entre chaque gorgée[2]

Nous allons passer en revue et expliquer chacune de ces dispositions :

Consultation d’un rav:

Avant Yom Kippour, un certain institut thoranique a publié des instructions pour les malades. Des instructions similaires ont été aussi publiées par certains rabbins des hôpitaux. Les autorisations accordées y sont très limitatives. Même un malade auquel un médecin digne de confiance a donné l’ordre de manger pour raison de santé doit, selon ces publications, s’adresser à un rav habilité à décider de l’application de la halakha pour recevoir la permission de manger. L’atmosphère induite par ces dispositions risque de créer une situation où des malades hésiteront à manger et se mettront ainsi en danger[3]. Nous nous portons en faux contre cette règle. Bien au contraire, le devoir du rav est d’enseigner bien avant Kippour que toute personne qui est en danger, doit manger sans avoir besoin de s’adresser à qui que ce soit. Nos sages enseignent que celui que l’on interroge dans ce type de situation est méprisable et que celui qui interroge est assassin. On comprend la condamnation de celui qui interroge, mais pourquoi condamner le rav interrogé ? C’est parce que, disent les sages, il aurait dû prendre les devants et enseigner cette règle fondamentale.

De plus l’avis du malade compte plus que celui des médecins. Si le malade affirme qu’il a besoin de manger, même si cent médecins disent que son état de santé ne le justifie pas, c’est le malade qu’on doit écouter.

Si, au contraire, le malade prétend contre l’avis des médecins qu’il n’a pas besoin de manger, ce sont les médecins que l’on suivra. S’il y a controverse entre les médecins, certains disant que le malade peut jeûner et d’autre affirmant le contraire, on écoutera ceux qui disent qu’il doit manger. Et s’il n’y pas de médecins, on suivra également l’avis de ceux qui pensent que cette personne ne doit pas jeûner à cause de sa maladie.[4]

Nous devons créer une atmosphère saine où il soit clair que lorsqu’un danger existe, la halakha est qu’il faut sauver le patient sans se poser des questions inutiles. Une des dimensions constitutives de cette atmosphère est d’expliquer qu’une personne à laquelle un médecin digne de confiance a dit que jeûner risque de le mettre en danger doit manger sans hésiter et qu’il n’est pas nécessaire de recevoir l’aval d’un rav.

Qu’appelle-t-on « danger » ?

Le deuxième point cité ci-dessus affirme que la permission de manger ne concerne qu’une personne que le jeûne mettrait réellement en danger de mort. Il ne semble pas du tout que telle soit la halakha. En effet, comme nous allons le montrer immédiatement, un patient dont le jeûne aggraverait l’état de santé n’a aucune obligation de jeûner, même s’il ne risque pas sa vie. Cela est explicite dans les du Choul‘han ‘Aroukh :

« Un malade qui doit manger, s’il se trouve là un médecin compétent, même non-Juif, qui affirme que si on ne le nourrit pas, son état risque de s’aggraver et qu’il se trouverait en danger, on le nourrit selon ses instructions et il n’est pas nécessaire de dire qu’il risque de mourir (Choul‘han ‘Aroukh, 618, 1.)

Par conséquent, les diabétiques, les malades cardiaques et d’autres patients souffrant de maladies chroniques, ainsi qu’une personne souffrant d’une forte fièvre, si le jeûne est de nature à aggraver leur état ou de leur provoquer de grandes souffrances, ils ont le droit de manger le jour de Kippour bien qu’ils ne soient pas en danger de mort.

De même une femme enceinte ou une femme qui allaite, et qui risque, si elle jeûne, d’éprouver des vertiges, des nausées et vomissements ou toutes sortes de troubles, ou dont le jeûne risquerait de provoquer des contractions prématurées ou l’interruption de l’allaitement, a le droit de manger et boire. Si possible manger et boire « avec mesure », notion que nous allons expliquer ci-après.

Manger et boire « avec mesure »

L’interdit de manger et de boire qui est puni de « retranchement » ne s’applique que si on a mangé normalement, c’est-à-dire une certaine quantité dans un temps donné.

La halakha a donc prévu une manière de procéder qui consiste à manger et boire de façon inhabituelle, afin de ne pas encourir expressément cette sanction. C’est cette manière de faire qui est appelée « avec mesure ». Lorsque c’est possible, le malade doit manger un volume de nourriture équivalent aux deux tiers d’un œuf de taille moyenne – ou moins – à chaque prise de nourriture et attendre avant la prise suivante le temps nécessaire à la consommation de quatre œufs.[5]

En quoi le fait de manger « avec mesure » est-il efficace ? Même une telle quantité est interdite par la Thora ! [6]

La réponse à cette question tient aux différents degrés de gravité des mitzvoth de la Thora. La transgression d’un interdit est plus grave que le non accomplissement d’un commandement positif. Les interdits eux-mêmes ont des degrés de gravité différents, certains étant sanctionnés par la peine de « retranchement ». Quelqu’un qui mange à Yom Kippour est passible de cette sanction. Cependant, quelqu’un qui mange « avec mesure » a bel et bien transgressé un interdit de la Thora, mais sous cette forme il s’agit d’un interdit de moindre gravité. Les sages écrivent que celui qui a mangé une demi mesure a transgressé un simple interdit et son cas est encore moins grave que celui de quelqu’un n’ayant pas accompli un commandement positif.[7]

Une demi mesure étant moins grave qu’un commandement positif, il est bien entendu qu’il est permis de manger et de boire pour na pas porter atteinte à la santé même si la personne n’est pas en danger de mort. Aussi, même celui qui contesterait qu’il n’est pas nécessaire que la vie soit en danger pour permettre de se nourrir, comme nous l’avons écrit plus haut, lorsque l’on mange « avec mesure » ceci est incontestable. Il suffit donc qu’il y ait atteinte à sa santé ou aggravation de la peine qu’il endure.

Quantités de nourriture et de boisson « avec mesure »

Pour éviter la sanction de retranchement, il faut donc manger moins d’une « mesure ». Pour la halakha, la mesure de nourriture susceptible d’apaiser quelqu’un est équivalente à une grosse datte. La mesure correspondante de boisson est une « gorgée » (voir note 1). La valeur d’une grosse datte correspond de nos jours à une quantité de 25 à 30 grammes de pain[8]. La « gorgée » est une notion variable d’une personne à l’autre en fonction de la taille de la bouche. Cela correspond à environ 40 à 45 centilitres[9].

Il est donc possible à quelqu’un de manger à plusieurs reprises une quantité inférieure à une grosse datte sans encourir la peine du retranchement, à condition qu’un intervalle de la « consommation d’un prass » (le temps nécessaire à la consommation de trois ou quatre œufs) sépare chacune des instances. Les avis divergent quant à la durée concrète correspondante ; les plus permissifs disent deux minutes, les plus rigoureux dix minutes. Concrètement, un intervalle de six à sept minutes entre chaque instance est suffisant.

Combien de temps faut-il attendre entre chaque gorgée ? Le Choul‘han ‘Aroukh rapporte une controverse à ce sujet (612, 10).

Selon le premier avis rapporté par le Choul‘han ‘Aroukh, l’avis de Maïmonide qui est celui qui fait force de loi, il suffit d’attendre quelques secondes entre chaque gorgée. Le second avis, est bien plus sévère puisqu’il exige un intervalle de la durée de consommation d’un prass entre chaque gorgée, comme pour des aliments.[10]

Comment décider dans la pratique ?

« on lui fait boire moins de cette mesure et on attendra entre chaque prise l’intervalle nécessaire à la consommation de quatre œufs et, à tous le moins, on attendra le temps nécessaire pour boire un quart. »

Cette décision – trancher a priori en faveur de la position permissive et adopter quand c’est possible la position sévère – est rapportée également par de nombreux auteurs[11].

En conclusion, un malade qui doit boire à Yom Kippour et a du mal à suivre l’avis sévère rapporté en second lieu par le Choul‘han ‘Aroukh n’y est pas astreint. Il n’y a pas le moindre souci d’encourir la peine du retranchement car il ne s’agit pas de boi3re pour le plaisir mais de boire pour éviter que l’état de santé empire.

Récapitulation

  1. Il n’y a pas d’obligation de consulter un rav pour permettre de manger à Yom Kippour. L’avis d’un médecin ou à défaut le sentiment du malade prévaut.
  2. Il y a lieu d’adopter une attitude permissive dans le cas où le jeûne nuirait à la santé du malade ou ajouterait à sa souffrance, même s’il n’y a pas lieu de craindre qu’il meure. En effet, deux raisons se conjuguent en l’occurrence :
    1. La définition de sauvegarde de la vie à Yom Kippour n’est pas d’éviter le risque de mort, mais d’éviter que l’état du malade empire ou que sa souffrance s’accroisse.
    2. Une demi-mesure n’est qu’un simple interdit.
  3. Manger « avec mesure » consiste à manger de 25 à 30 grammes de pain dans un délai de six minutes et demie.
  4. Boire « avec mesure » consiste à boire 40 à 45 cm3 d’eau.
  5. L’intervalle de temps entre deux gorgées est de quelques secondes. Il est toutefois louable de prendre en compte l’avis sévère. Par conséquent, celui qui ne doit boire qu’un peu doit s’efforcer d’attendre entre chaque gorgée six minutes et demie. Mais quelqu’un qui doit boire beaucoup, comme une femme enceinte ou qui allaite ou une personne qui a de la fièvre, qui doit parfois boire un litre et demi, voire davantage, peut n’attendre que cinq secondes entre chaque gorgée.
  6. Nous avons le devoir de faire connaître l’essentiel de la halakha dans ce domaine. Sinon, le jour de Kippour fera subir aux malades des peines considérables, les empêchant même de prier convenablement. Un simple calcul suffit à le comprendre : quelqu’un qui doit boire un litre et demi devrait, selon l’avis sévère, boire trente-sept fois avec un intervalle de dix minutes entre chaque prise, ce qui lui prendrait plus de six heures !

Puisse le Saint-béni-soit-Il guérir tous les malades d’Israël et que nous n’ayons pas besoin de nous poser ces questions.

[1] « Mais le dix de ce septième mois, c’est un jour d’expiations (Yom Kippourim), ce sera pour vous un appel de sainteté et vous mortifierez vos personne … car toute personne qui ne se mortifiera pas (= ne jeûnera pas) en ce jour même sera retranchée de son peuple. » (Lévitique xxiii, 27-29)

[2] La définition d’une gorgée est ici la suivante : la quantité nécessaire à remplir l’une de ses joues de sorte que les deux paraissent gonflées. (מלוא לוגמיו)

[3].ספק פיקוח נפש

[4] Ora‘h ‘Hayim chapitre 328 à propos de la transgression du chabbat pour les malades.

[5] Traité Yoma 80b.

[6] Yoma 73b. Maïmonide, Règles de Yom Kippour, II, 3.

[7] Tossafot s/Chvouoth 23b ; anciens Tossafoth s/Yoma 73b ; Nahmanide, Thorat Haadam, portique du malaise, article « danger ».

[8] Certains (Chmirat Chabbat Kehilkhata 39, 20) disent 32 grammes et certains (Yé‘havé Da‘at vi, 39) disent 30 grammes. Certains sont encore moins exigeants – voir Miqraé Qodech chapitre vi, note 9.

[9] Michna Broura (612, 26).

[10] D’après les règles du Choul‘han ‘Aroukh, lorsqu’il y a controverse entre un avis anonyme et « certains disent », on suit l’avis anonyme. Le Choul‘han ‘Aroukh est donc permissif en l’occurrence. Il rapporte le deuxième avis parce que lorsque la possibilité existe, il est bon de suivre l’avis le plus sévère. Toutefois, lorsqu’il y a problème, l’exigence fondamentale de la halakha (‘iqar hadîn) ne requiert pas d’adopter la position sévère.

[11] Kaf HaHayim de rabbi Yaaqov Hayim Soffer (612, 53 in fine) et dans Yabi‘a Omer de rabbi Ovadia Yossef (ii, 31) qui ont tous deux tranché a priori selon le premier avis considéré comme exprimant la halakha fondamentale (‘iqar hadîn).