Devarim – La résurrection des morts
Rav Nahum Botschko
Le livre du Deutéronome s’ouvre sur le discours prononcé par Moïse avant l’entrée d’Israël sur sa Terre.
Parlant de la terre d’Israël, Moïse mentionne les Patriarches, disant au verset 8 : « Vois, j’ai mis la Terre devant vous, venez, prenez en possession d’héritage la terre que Dieu a jurée à Abraham, à Isaac et à Jacob de la leur donner et à leur postérité après eux. » Ce qui pose apparemment problème ; le texte n’aurait-il pas dû porter « de vous donner », Moïse s’adressant ici aux Enfants d’Israël, postérité des Patriarches !? Que signifie « de leur donner » ? Et nos Sages, rapportés par Rachi, de dire (Sanhédrin 90a) : « ce n’est pas « de vous donner » qui est écrit ici, mais « de leur donner ». Nous apprenons de là que le principe de la résurrection des morts est enseigné par la Thora ! »
Est-ce vraiment d’une précision sur un détail de formulation de cette sorte que nos Sages ont appris le principe de la résurrection des morts ? Le prophète Ézéchiel n’en parle-t-il pas explicitement ? Ne dit-il (au chapitre xxxvii, versets 5 et 6) : « Voici ce que Hachem Elohim dit à ces ossements : « Voici que Je fais venir en vous un souffle et vous vivrez, et Je vous recouvrirai de nerfs et Je vous envelopperai de chair et Je vous revêtirai d’une peau et Je mettrai en vous un souffle et vous vivrez et vous saurez que Je suis Hachem. »
Mais il faut savoir, en vérité, que la prophétie d’Ézéchiel – la vision des ossements desséchés – ne concerne pas la résurrection des morts telle que les articles de foi de Maïmonide nous en prescrivent la conviction. Elle concerne la résurrection nationale d’Israël, qui s’y réveille du long sommeil de l’exil. En exil, la dimension nationale d’Israël avait totalement disparu. Le Gaon de Vilna a écrit à ce propos que « l’exil est le cimetière du peuple juif ». Chaque Juif, individuellement, peut certes pratiquer en exil les commandements personnels, mais il manque la dimension politique de la souveraineté hébraïque sur la Terre d’Israël qui lie en un tout cohérent ces mitzvoth « dépareillées » et rassemble de même les individus isolés en un peuple vivant. Le « Retour à Sion » et le rétablissement de l’État constituent la réalisation concrète de la vision de la résurrection des morts décrite dans ce chapitre. C’est d’ailleurs bel et bien le sens littéral du texte : « Or donc, prophétise et dis leur : Voici ce qu’a dit Hachem Elohim – voici que J’ouvre vis tombeaux et Je vous ferai monter de vos tombeaux, Mon peuple, et Je vous amènerai sur le sol d’Israël… »
Il en ressort que la résurrection des morts au sens de la destinée personnelle de chacun ne figure pas explicitement dans la Bible. On comprend donc que les Sages aient cherché des allusions à ce sujet dans les versets de la Thora. Mais comment comprendre précisément qu’un principe aussi fondamental de la foi juive ne soit pas formulé de manière claire et sans ambiguïté, mais seulement de manière allusive ?
Le rav Abraham Yitzhaq Hacohen Kook explique[1] que l’état idéal du peuple d’Israël est tel que le Saint béni soit-Il réside parmi nous en ce monde, le peuple d’Israël étant souverain sur sa Terre, et en son centre le Temple. Cet état de choses, la Thora le décrit à de nombreuses reprises, comme par exemple lorsqu’elle dit : « si vous marchez selon Mes règles et que vous observez mes lois… la terre donnera sa provende et l’arbre du champ donnera son fruit… vous séjournerez paisiblement sur votre terre… et Je me promènerai parmi vous et Je vous serai Dieu. » Étant donné qu’il s’agit là de l’état idéal, la Thora n’a pas besoin de décrire le monde qui vient et la résurrection des morts, car l’essentiel du projet de la Création est la révélation du Saint béni soit-Il auprès des êtres d’en bas et la restauration du monde sous la souveraine royauté divine. Ce n’est que lorsque le peuple d’Israël perd cet idéal, parti en exil, devenant un assemblage d’individus particuliers au lieu d’être la collectivité une qui fait son essence, alors seulement surgit le besoin de se référer au salaire personnel de chacun ; c’est pourquoi les Sages ont trouvé nécessaire de mettre en évidence les allusions à la résurrection des morts et au monde à venir qui émaillent le texte biblique.
Un point mérite qu’on s’y attarde : l’allusion à la résurrection personnelle figure dans notre texte précisément dans le verset du serment fait à Abraham, à Isaac et à Jacob concernant l’héritage de la terre. Peut-être les Sages ont-ils voulu désigner ainsi le lien entre la renaissance individuelle et la renaissance nationale.
Traduit par Rav E. Simsovic
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[1] Voir Orot, « Le mouvement des idées en Israël », §5, page 111.