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Réeh – La Chemita : Une mitsva difficile

Réeh – La Chemita : Une mitsva difficile

Rav Shaoul David Botschko

 

LE TRAVAIL DE LA TERRE
Durant une année entière, nous n'avons pas le droit de semer et récolter, tailler la vigne et vendanger, labourer et planter : "Parle aux enfants d'Israël et tu leur diras : lorsque vous pénétrerez dans le pays que je vous donne, la terre chômera un chabbat pour D-ieu; durant six ans tu sèmeras ton champ et tu tailleras ta vigne et tu engrangeras ta récolte; mais la septième, la terre chômera totalement; cela sera un chabbat pour D-ieu, ton champ tu ne sèmeras pas et ta vigne tu ne tailleras pas; tu ne récolteras pas et ne vendangeras pas; ce sera une année de Chabbat pour la terre"[1].
RENONCIATION A LA PROPRIETE
Mais ce n'est pas tout, les propriétaires des vergers doivent laisser le libre accès à tous, pauvres et riches, amis et ennemis. Il est même interdit de chasser les animaux. Et tous peuvent se servir, cueillir et ramasser les fruits qui y poussent spontanément : "Et le repos de la terre sera pour que vous puissiez en consommer les fruits, toi, ton serviteur, ta servante, ton salarié et l'habitant qui séjournent avec toi; l'animal et la bête pourront également manger de la récolte"[2].
Certes, lui-même, au même titre que les autres, peut se servir et amener quelques réserves chez lui; mais ceci seulement tant qu'il en reste dans les champs; dès que tout a été récolté, il doit remettre ses réserves en circulation : c'est la mitsva du "Biour" : "Tant que tu peux te servir dans les champs, tu as le droit de garder des réserves à la maison; dès qu'on ne trouve plus de récolte dans les champs, tu ne peux plus en garder à la maison"[3].
SAINTETE DES FRUITS
Les fruits qui ont poussé cette année là sont "Kedochim", saints. Ceci implique concrètement un certain nombre de lois:
- l'interdiction d'en faire du commerce(les vendre pour réaliser des bénéfices)
- l'interdiction d'exporter en dehors d'Israël, seule la terre d'Israël étant suffisamment sainte pour les fruits de cette année là;
- l'interdiction de jeter ces fruits à la poubelle tant qu'ils sont consommables(même les épluchures qui sont mangeables - comme celles de pommes - ne doivent pas être jetées, mais déposées dans un sac jusqu'à ce qu'elles pourrissent, alors seulement on aura le droit de les jeter).
INTERDICTION DES SEFI'HIM
Les céréales et les légumes ne poussent en général pas spontanément.Aussi les sages en ont interdit la consommation. C'est la loi des "Sefi'him".
ANNULATION DES DETTES
Et ce n'est pas tout. A la fin de l'année les créanciers doivent renoncer à réclamer leur dû, toutes les dettes sont annulées : "Et ceci est la loi de la Chemita : Que tout celui qui a une créance envers son prochain l'annule, et il n'oppressera pas son prochain et son frère en lui réclamant le remboursement, car cette année on proclame l'annulation des dettes pour D-ieu"[4].
Ces Mitsvot sont difficiles à respecter; elles demandent de l'homme un renoncement de son instinct de propriété, mais surtout l'homme est dépouillé de ce qui fait sa sécurité, la propriété de la terre et la possession de l'argent. Comment va-t-il se nourrir la septième année, comment assurera-t-il l'avenir de sa famille si ses prêts se transforment en dons ?
Aussi, D-ieu rassure l'homme :
A propos de la chemita de la terre, la Thora s'exprime ainsi : "Et si vous direz : Que mangerons-nous la septième année, nous n'avons donc ni semé ni engrangé; Je vous réponds dit D-ieu : J'ordonnerai ma bénédiction la sixième année, elle produira pour trois ans."
Quant à l'annulation des dettes, la Thora avertit : "Prends bien garde et ne cède pas à la tentation de te dire : l'année de la Chemita s'approche et tu ne voudras pas prendre le risque de lui prêter. Donne lui de bon coeur .et pour cet effort D-ieu bénira toutes tes actions et tout ce que tu entreprendras."
DE NOS JOURS
Ces lois ont-elles cours à notre époque ?
La réponse est positive mais avec des nuances.
"Rabbi enseigne : Les lois de la Chemita, tant celles du repos de la terre que celles de l'annulation des dettes dépendent du Yovel; et le Yovel n'a court que lorsque tous les enfants d'Israël se trouvent réunis sur leur terre partagés en douze tribus; à notre époque, nos sages ont institué que l'on respecte ces lois en souvenir des lois de chemita de la Thora"[5]. Qu'une loi soit de la Thora ou imposée par nos sages (Derabanane), elle doit être appliquée avec le même élan de foi: c'est ainsi que des fêtes aussi importantes que 'Hanouka ou Pourim ont été instituées par les Rabanane (sages de l'époque talmudique). Il existe néanmoins une différence en cas de force majeure : Une loi de la Thora ne pourra être annulée, même provisoirement, que si la vie est immédiatement en danger.
Tandis que pour une loi des Rabananes, dans certaines circonstances exceptionnelles, même sans dangers immédiats pour la vie, les sages peuvent envisager d'appliquer des clauses juridiques qui permettent de passer outre certaines interdictions.
PROUZBOUL
Ainsi Hillel l'Ancien avait constaté que les gens n'étaient plus à la hauteur des exigences de la Thora et la loi de l'annulation des dettes était dévoyée de son sens et s'était retournée contre les pauvres qu'elle était sensée protéger: en effet les riches ne prêtaient plus du tout.
Aussi, il a institué le "prouzboul", procédure juridique selon laquelle les créanciers ont le droit de recouvrer leurs créances malgré la Chemita[6].
LA VENTE
Il y a 105 ans avec la création de colonies agricoles, le respect des lois de la Chemita devenait à nouveau d'actualité. Les conditions économiques très dures ont amené des sages de l'époque à proposer des solutions juridiques qui permettraient de passer outre à l'interdiction de la chemita. Il s'agit de vendre la terre à un non juif, alors qu'il est bien spécifié que le but de cette vente est l'autorisation de travailler la terre cette année là. En effet,d'après la majeure partie des décisionnaires, en particulier Rabbi Yossef Caro auteur du Choul'han Arou'h, les lois de la chemita ne s'appliquent pas à la production d'un champ appartenant à un non-juif.
(v.Rav Obadia Yossef dans Yabia Omer)
Cette proposition a soulevé de grandes controverses qui ne sont toujours pas éteintes.
CEUX QUI INTERDISENT
Mentionnons le "Hazon Ich", Gaon qui a vêcu a Bné Brak et qui s'est vigoureusement opposé à cette solution pour de nombreuses raisons : Mentionnons en trois :
- Il n'est pas permis de chercher des moyens même légaux pour détourner une Mitsva. C'est avec joie que nous acceptons les commandements de D-ieu. Prenons exemple sur Moïse qui désirait tant entrer en Israël justement pour pouvoir accomplir les commandements liés à la terre.
Si après un temps si lent d'exil, D-ieu nous a permis à nouveau de retourner sur sa terre, faisons Lui confiance : Il nous permettra d'y subsister même en respectant les lois de la Chemita. De toute manière, la survie du peuple juif en Israël est un miracle; c'est par le respect scrupuleux des commandements divins que nous pourrons subsister sur cette terre.
- Il met en doute la validité juridique de la vente, le vendeur n'ayant pas vraiment l'intention de vendre et l'acheteur d'acheter.
- Et surtout, en vendant la terre d'Israël à un non-juif, on contrevient à un interdit de la Thora, celui de lui vendre la terre d'Israël : "L'interdiction de lui donner une possession en Israël, d'après tous les décisionnaires, a cours quelle que soit la religion du non juif, ... et que l'on soit en période d'exil ou non,car cette Mitsva provient de la volonté de D-ieu que la terre d'Israël soit habitée par des juifs et Eretz Israël nous appartient même pendant les périodes d'exil; nous sommes tenus d'habiter le pays même durant l'exil comme l'a dit Maïmonide"[7].
De nombreux villages agricoles ont suivi le 'Hazon Ich et ont respecté à la lettre les lois de la Chemita.
CEUX QUI AUTORISENT
Parmi les grands d'Israël qui ont vigoureusement pris position pour l'autorisation de vendre, mentionnons le Rav Kook : Il a pris en considération que la majorité des paysans n'étaient pas prêts à respecter la Chemita. Aussi, si on ne trouvait pas un moyen d'autoriser légalement le travail, ils le feraient contrairement aux lois de la Thora, transgresseraient la Thora et inonderaient le marché avec des produits dont une grande partie, en particulier les céréales et légumes, seraient interdits à la consommation. Il a pris modèle sur Hilel l'Ancien qui pour des motifs analogues avait institué le "prouzboul".
La sitation économique précaire a été un argument également essenTiel.
En ce qui concerne la validité juridique de la vente, lui et les Rabbins qui lui ont précédé et qui lui ont suivi, se sont longuement penché sur le contrat et c'est en se basant sur des décisionnaires qui font autorité qu'ils ont conclu des contrats de vente très complexse pour qu'ils puissent être absolument valides.
En ce qui concerne l'interdiction de vendre la terre d'Israël à un non-juif, il affirme qu'étant donné d'une part qu'il s'agit d'une vente limitée à deux ans et que d'autre part, son but est justement de permettre aux paysans de subsister, cette vente particulière ne tombe pas sous la coupe de l'interdiction. Néanmoins, le Rav Kook souhaitait très ardemment que la Mitsva de Chemita soit respectée par le plus grand nombre dans son intégralité. Il a même écrit un livre sur les lois de la Chemita. Il serait certainement très heureux de savoir qu'aujourd'hui les villages agricoles et les Kibboutsim qui respectent la Mitsva de chemita sont de plus en plus nombreux.

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[1] Levitique 25, 1 à 4
[2] Lévitique 25, 6 et 7
[3] Thorat Cohanim Levitique 25, 6 et 7
[4] Deutéronome 15, 1 et 2
[5] Talmud Guittin et Moed Katan 3a
[6] Guittin
[7] Hazon Ich, Cheviit, chap. 24

 

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