1 Tora mi-Tsiyon, Kohkav Yaakov, 9062200
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Lekh Lekha – Abraham, le souci d’autrui

Lekh Lekha – Abraham, le souci d’autrui

Rav Nahum Botschko

 

La paracha de Lekh Lekha relate le début de la geste d’Abraham et, en particulier, le courage avec lequel il part en campagne contre de puissants seigneurs de guerre afin de libérer son neveu Loth qu’ils avaient emmené en captivité (Genèse XIV, 14) :
Avram entendit que son frère avait été fait prisonnier ; il arma ses fidèles, enfants de sa maison, trois cent dix huit…
D’une manière à la fois plus imagée et plus proche de l’étymologie, nous pourrions dire qu’il leur a fait sortir l’épée du fourreau, celui-ci se trouvant ainsi vidé de son contenu. Une autre manière de lire serait de dire qu’il leur a fait faire le vide.
On trouve dans les midrachim diverses interprétations de ce « faire le vide », certaines positives, d’autres négatives.
Le Talmud (Nédarim 32a) rapporte une discussion entre Rav et Shmouel : le premier dit qu’il a « vidé » (déversé) de la Thora sur eux et le second qu’il a « vidé » sur eux de l’or. À vrai dire, le sens que ces deux maîtres donnent à leur propos est lui-même sujet à discussion ! Certains commentateurs expliquent qu’Abraham a stimulé ses gens au nom des valeurs de la Thora afin qu’ils fassent diligence pour sauver des vies humaines et que c’est grâce à cela qu’ils ont remporté la victoire. D’autres expliquent au contraire qu’Avraham a détourné ses gens de l’étude de la Thora, les a en quelque sorte « dévidés » de Thora, les ayant réquisitionnés pour partir à la guerre ; il a dû pour cela les couvrir d’or, car autrement ils n’auraient pas accepté d’y aller.
Le Talmud indique qu’Abraham aurait en cela commis une faute :
Rabbi Abahou rapporte l’enseignement de rabbi Eleazar : pourquoi Abraham a-t-il été sanctionné et ses descendants condamnés à l’asservissement en Égypte durant deux cent dix ans ? C’est parce qu’il a réquisitionné des talmidé hakhamim (disciples de sages), ainsi qu’il est dit : “il arma ses fidèles, enfants de sa maison…”
Dans les temps contemporains, certains ont tenté – et tentent encore – d'exploiter ces textes critiques à l'égard d'Abraham pour soutenir l'idée que les élèves des yéchivot devraient être exemptés du service militaire, celui-ci les obligeant à « négliger » l'étude de la Thora.
Le rav Tzvi Yéhouda Kook s'est mesuré à cette thèse#. Pour y répondre, il faut prendre en compte la séparation de Loth et d'Abraham. La Thora relate le fait que Loth s'est séparé d'Abraham et s'en est allé s'installer à Sodome. Cette distanciation n'était pas seulement géographique ; elle avait aussi un caractère spirituel. Le Midrach (Béréchit Rabba 41, 7) s'en fait l'écho :
Il s'est éloigné de Dieu#, disant : « je n'ai point désir ni d'Abraham ni de son Dieu ! »
Abraham n'avait donc aucune obligation à son égard et n'avait pas à courir des risques et à en faire courir à d'autres pour le secourir. D'où la critique talmudique concernant l'abandon de Thora par ses élèves, abandon provisoire, mais superflu. Mais il est évident que rien ne permet de soutenir une comparaison entre la situation décrite dans la Genèse et son appréciation talmudique avec l'enrôlement dans Tzahal, l'armée d'Israël.
Celui-ci constitue d'une part une obligation du point de vue de la défense des vies de la population (piqoua‘h nefèche) et se définit, d'autre part, comme participation à une guerre de défense d'Eretz Israël contre des agresseurs (Mil‘hèmeth Mitzva) qui mettent en danger à la fois l'intégrité du territoire et la pérennité de la Nation, le statut de cette dernière impliquant sans contestation possible la légitimité d'une « mise entre parenthèses » de l'étude de la Thora.
Même si Abraham a été sanctionné de ce fait (suivant la thèse négativiste), il n'en reste pas moins qu'il a certainement considéré que c'était – en la circonstance – la chose à faire ! Le laconisme du verset et la multiplicité des commentaires montrent qu'Abraham a tout fait pour sauver Loth ; dès l'instant où il a su qu'il avait été enlevé, il n'a eu de cesse qu'il ne l'ait ramené, payant de sa personne et de son argent, organisant une petite armée, la motivant spirituellement et financièrement, en soustrayant les participants et lui-même à l'étude de la Thora. Il aurait pu trouver d'excellents prétextes pour échapper à cette tâche. Mais le sens du devoir, du souci pour autrui, dimension constitutive de sa personnalité, ne lui permettait pas d'agir autrement, quitte à « froisser » quelque peu certaines sensibilités.
Nous retrouverons cette attitude d'Abraham dans la paracha de Vayéra où il priera pour les gens de Sodome pourtant réputés pour leur scélératesse.
Abraham ne s'enferme pas dans la tour d'ivoire de ses vertus, fermant pudiquement les yeux sur les vicissitudes d'un monde corrompu.
Au contraire, il prend les problèmes à bras le corps ! Il se préoccupe non seulement de ceux qui lui sont proches mais aussi de ceux qui sont l'antithèse même de ce qu'il a choisi d'être. Il œuvre de toutes ses forces pour être source de bien pour tous.
Abraham, pourrait-on dire, a fait totalement siennes les premières paroles qu'Hachem lui a adressées lorsqu'Il s'est révélé à lui pour la première fois, lui enjoignant de quitter pays, terroir et maison paternelle pour se mettre en marche vers la terre d'Israël, afin d'être soucieux du monde entier, ainsi qu'Hachem le lui a annoncé : « se béniront par toi toutes les familles de la terre. »

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# Qountrass Lémitzvath Haaretz, 1948.
# Littéralement Qadmono chel ‘olam, Celui qui est antérieur au monde, Celui qui prime sur le monde.

 

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